Le chef et ténor Emiliano Gonzalez Toro sera pour la première fois à Montréal cette semaine

Le ténor Emiliano Gonzalez Toro vient pour la première fois à Montréal, mercredi à la salle Bourgie, présenter son programme La chambre des miroirs, ode musicale à la gémellité, comme un symbole du nom de son ensemble, I Gemelli.

Les jumeaux dans La chambre des miroirs, ce sont deux ténors, Zachary Wilder et Emiliano Gonzalez Toro, mais aussi des compositeurs italiens qui ont épousé, d’une manière ou d’une autre, la musique de Monteverdi.

« J’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis ténors. Parmi eux, il y a cet extraordinaire Américain, Zachary Wilder, qui évolue en Europe et que je connais depuis 15 ans. Quand nous avons fait Les vêpres nous avions la même sensibilité, on respirait pareil », se souvient Emiliano Gonzalez Toro.

Hasard

Un jour, après un Orfeo à Nantes, Emiliano Gonzalez Toro était épuisé vocalement et devait enregistrer un disque avec Wilder juste après. « Nous avions choisi le programme depuis plusieurs mois, mais je ne pouvais plus chanter. Nous avons préservé la période pour passer en revue un stock de partitions ». C’est là qu’est né La chambre des miroirs, programme qui comprendra aussi des pièces instrumentales, affilié à Monteverdi, mais sans jamais aller à Monteverdi : « Damigella tutta bella de Calestani, c’est le même texte, même rythme presque la même mélodie que Monteverdi ; Mai non disciolgasi, de Gregori, est une grande chaconne sur la même base et la même rhétorique que Zefiro torna, alors que Dove ten vai de Turini qui est basé sur le moment où Orfeo entre aux enfers avec Speranza. Elle lui dit “Dove ten vai’’ quand elle s’en va. »

Gonzalez Toro est intarissable sur Monteverdi. « Un jour, on m’a demandé pourquoi j’aimais tant Monteverdi et pas Rossini. Ce n’est pas que je n’aime pas Rossini, mais quand j’écoute Rossini, j’entends de la musique que je trouve sympa. Monteverdi, lui, me parle, me prend par la main, m’amène là où je n’ai pas l’habitude d’aller, m’explique la vie, la philosophie, l’astronomie, des concepts complexes d’une manière si simple que cela m’humanise. C’est une musique que j’ai envie d’avoir à mes côtés toute ma vie, alors que Rossini me fait passer une bonne soirée. »

Emiliano Gonzalez Toro, lui, est entré dans nos vies par son enregistrement de L’Orfeo, chez Naïve, qu’il chantait et dirigeait. Nous avions découvert un artiste hors normes, littéralement possédé par son art. Il a renouvelé la magie avec son récital Soleil noir. Mais qui était-il avant cet Orfeo ?

Passer à côté

« J’ai toujours été inspiré par Sylvester Stallone ou George Lucas, des gens qui savaient au fond d’eux-mêmes qu’ils avaient une belle histoireà raconter, des personnages à faire vivre, et quand ils les proposaient à des maisons de production on leur disait “Non”, ou bien “Oui, mais pas avec toi” », explique le ténor suisse d’origine chilienne.

Avec le rôle d’Orphée Gonzalez Toro a vécu ces situations. « En 2007 [400e anniversaire de la création de l’opéra], j’étais trop jeune, mais avant 2017, les 350 ans de la mort de Monteverdi, alors que ça devenait normal que l’on me confie ce rôle, cela n’arrivait pas, du moins dans les grands endroits avec les grands ensembles. Là, je me suis dit : “Zut, je suis en train de passer à côté. Donc, si j’ai envie que cela arrive, il faudra le faire moi-même.” »

Dans ses entreprises et ambitions, Emiliano Gonzalez Toro est encouragé par sa conjointe Mathilde Étienne, avec laquelle il fonde alors I Gemelli. « J’ai toujours été dans le baroque, de Vivaldi à Rameau en passant par Lully et Bach. J’ai chanté l’Évangéliste, travaillé avec tous les groupes baroques possibles et imaginables, même aux États-Unis avec Opéra Lafayette. Petit à petit, on m’a confié pas mal de rôles bouffes, parce que sur scène je fais cela avec joie et que cela se ressent. »

Alors qu’il se voyait enfermer dans ses pitreries scéniques, Mathilde faisait remarquer à Emiliano que son profil vocal pouvait donner une autre dimension à des rôles nobles. « Mes employeurs habituels n’étaient pas préparés à m’entendre leur proposer tel ou tel rôle, plutôt que de faire le clown sur scène. Je sentais bien les réactions : “Ah oui ? T’es sûr ?” Je n’avais pas envie de forcer. » C’est le syndrome Coluche au cinéma, le pitre que le monde a découvert avec stupéfaction dans un rôle dramatique dans Tchao Pantin de Claude Berri. Dans le cas d’Emiliano Gonzalez Toro, les refus ont nourri des projets : les Vêpres de Cozzolani, Soleil noir,portrait du ténor Francesco Rasi, créateur du rôle d’Orphée, et L’Orfeo, des CD publiés par Naïve.

Heureux qui comme Ulysse

Aujourd’hui, Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Étienne sont déjà ailleurs. « J’ai l’impression que cela fait 15 ans qu’on existe, mais en réalité, notre premier concert date du 28 mai 2019. » Sans expérience, ils s’étaient tournés vers l’étiquette Naïve pour éditer leurs projets. Mais après L’Orfeo, Emiliano voulait aborder Le retour d’Ulysse dans sa patrie, « opéra malmené qui souffre d’une image d’opéra long et ennuyeux, alors que ce c’est tout le contraire. C’est mon opéra préféré de tout le XVIIe siècle ».

Le problème : le perfectionnisme de l’équipe, des rêves de grandeur éditoriale et un opéra deux fois plus long qu’Orfeo, sachant qu’Orfeo avait requis 10 jours d’enregistrements pour 1h37 de musique. « Je ne comprends pas comment font les autres pour enregistrer un disque en trois ou quatre jours. Physiquement, enregistrer 12 à 15 minutes par jour me donne l’impression d’avoir un pistolet sur la tempe », nous dit Emiliano Gonzalez Toro.

Naïve ne suivra pas le projet Ulysse. Qu’à cela ne tienne, I Gemelli va créer sa propre étiquette de disque, Gemelli Factory. Emiliano Gonzalez Toro est donc devenu éditeur de disque. Et pas n’importe comment. Ce Retour d’Ulysse vient de sortir. C’est non seulement une aventure musicale extraordinaire, de la trempe de L’Orfeo, même une coche au-dessus, mais sous forme d’un livre-disque d’un luxe surpassant même les parutions Alia Vox et v du même acabit.

« Nous avons décidé de marquer le coup avec des objets spécifiques et de mettre l’accent sur la qualité à tous les niveaux. Les projections de vente à cinq ans des disques physiques sont tellement catastrophiques que cela ne fait aucun sens. Mais quitte à ce que tout le marché parte en cacahuète, autant y mettre tout l’amour et toute l’énergie et sortir un objet magnifique en allant au bout du processus avec un vrai livre que l’on puisse lire agréablement, un vrai travail de recherche et des illustrations. On s’est dit : “Si on n’avait pas de limites qu’est-ce que cela donnerait ?” Hé bien, cela a donné un peu ça, rendu possible par un certain nombre de subventions du côté français et suisse et une grande mécène qui nous a permis de prendre deux ans et demi pour créer cet objet. »

Chercheur de talents, accro des concours, Emiliano Gonzalez Toro s’enorgueillit d’avoir des instrumentistes choisis un par un, que l’on n’entend pas forcément dans les autres ensembles, et de jeunes chanteurs tels Anthony León ou Lauranne Oliva, engagés avant leurs récentes victoires dans d’importantes compétitions. À ses côtés, sa Pénélope est la Montréalaise Rihab Chaieb. Entendre le ténor et chef jusqu’au-boutiste parler de sa partenaire donne une bonne idée du degré de raffinement de son enregistrement. « Nous cherchions une Pénélope très féminine, à rebours des voix androgynes que l’on entend dans cette musique en ce moment. L’ambitus de Pénélope est très restreint, et les aigus, Rihab peut les faire en se réveillant le matin au petit-déjeuner. Mais si Monteverdi a écrit un ambitus réduit, ce n’est pas pour rien. Dans l’histoire, elle refuse, refuse et refuse l’évidence jusqu’aux ultimes mesures de l’opéra. Elle est donc en contrôle permanent et à la fin, seulement, elle s’ouvre et, là, la voix s’ouvre, prend la lumière. C’est ce dont j’avais besoin et c’est ce qui manque avec les mezzos qui chantent beaucoup ce répertoire baroque et sont à 100 % de leurs capacités tout le temps. »

La visite à Bourgie, mercredi, de cet artiste, dont le rayonnement nous fait penser à maints égards à celui de Leonardo García Alarcón, est un honneur.

Emiliano Gonzalez Toro

« La chambre des miroirs » avec Zachary Wilder et I Gemelli, à la salle Bourgie, mercredi 22 novembre à 19 h 30.

Claudio Monteverdi : Il Ritorno d’Ulisse in Patria

Avec Emiliano Gonzalez Toro, Rihab Chaieb, Emöke Barath, Zachary Wilder, Mathilde Étienne, Jérôme Varnier, Philippe Jaroussky, etc. Gemelli Factory, UPC 3770031472011.

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