Une personne sur cinq au Québec âgée de 18 à 34 ans estime que « le féminisme est une stratégie pour permettre aux femmes de contrôler la société », selon un récent sondage de la firme Léger, qui a été mandatée par le Centre québécois d’éducation aux médias et à l’information.
12 % de l’ensemble des répondants de tous âges ont affirmé que cet énoncé était vrai, soit 16 % des hommes et 8 % des femmes sondés. L’enquête, menée en ligne auprès de 1009 Québécois, visait entre autres à mesurer « jusqu’à quel point, notamment par le biais des réseaux sociaux, les individus sont plus ou moins perméables à toutes sortes de théories non vérifiées que d’autres appelleraient des théories du complot », explique Christian Bourque, vice-président exécutif de Léger.
Les énoncés présentés dans le coup de sonde effectué en septembre concernaient différents thèmes comme la confiance envers les médias, le féminisme, les changements climatiques ou les extraterrestres. Plusieurs de ces théories avaient déjà été soumises à des Canadiens lors d’un sondage Léger de 2021 qui avait été fait en collaboration avec neuf chercheurs, dont David Morin, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.
Par rapport aux résultats de 2023, 6 % des Québécois de tous sexes confondus âgés de 55 ans et plus souscrivent à l’idée que « le féminisme est une stratégie pour permettre aux femmes de contrôler la société », tandis que la proportion chez les 35-54 ans s’élève à 14 % et 20 % chez les 18-34 ans.
Il est « peut-être inquiétant de voir que c’est chez les plus jeunes que le féminisme a une moins bonne résonnance qu’ailleurs », avance Francine Descarries, professeure émérite au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « C’est sur eux qu’on compte pour finaliser les changements vers l’égalité et là, on observe qu’il y a une réticence. »
Il est toutefois commun pour les personnes qui adhèrent au féminisme qu’elles le fassent un peu plus tard dans leur vie, comme lorsqu’elles vivent de la discrimination au travail, soutient pour sa part Mélissa Blais, professeure de sociologie au Département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « Quand on est jeune, on a une impression d’égalité […] Celle-ci prend plus le bord lorsque vient le temps d’être confronté à du sexisme. »
Mme Blais émet cependant un bémol quant à la formulation de l’énoncé sur le féminisme comme « stratégie pour permettre aux femmes de contrôler la société ». Il pourrait être compris par les répondants comme une idée antiféministe, mais aussi l’inverse. « Si l’on se dit par exemple : “OK, les femmes n’ont pas de contrôle parce que les inégalités de genre persistent, et là, le féminisme, ça leur permet d’avoir du contrôle.” »
Vague conservatrice
Si l’on analyse l’énoncé comme étant antiféministe, l’une des hypothèses pour expliquer l’adhésion de 20 % des 18-34 ans à celui-ci est la vague conservatrice qui déferle actuellement sur la société, selon la professeure de sociologie au Département des sciences sociales de l’UQO.
« Il y a ces voix diverses qui se multiplient au niveau, disons de la chronique journalistique, que ce soit ici, mais ailleurs aussi, comme aux États-Unis. En France, on les entend répéter sans cesse que les féministes exagèrent », indique Mme Blais. Cette dernière avance que certains jeunes n’ont peut-être pas encore approfondi leur réflexion sur ces discours.
Mélissa Blais et Francine Descarries soulignent cependant qu’il y a désormais plus d’ouverture au Québec par rapport au féminisme qu’auparavant. Mme Descarries voit d’ailleurs le « verre à moitié plein » concernant les résultats de l’enquête pour l’ensemble des répondants de tous âges. « Vous m’auriez présenté ce sondage-là il y a une vingtaine d’années et on parlerait de chiffres tout à fait différents. »
« Je pense qu’une culture, surtout une culture patriarcale aussi forte qu’a été la nôtre, ça ne se bouscule pas ou ça ne se transforme pas sur une ou deux décennies, ça en prend plusieurs », poursuit-elle.
Quant au 8 % des femmes qui affirme qu’il est vrai que « le féminisme est une stratégie pour permettre aux femmes de contrôler la société », Francine Descarries estime que cette proportion est normale.
« Ce qui est surprenant, c’est qu’autant de femmes considèrent maintenant que le féminisme est un mouvement vers l’égalité […] Tout a été mis en marche dans la société pour que les femmes adhèrent au message patriarcal », observe-t-elle.