Envoyé en exil à Cuba en décembre 1970, le felquiste Jacques Lanctôt a baigné dans un univers de « révolutionnaires » cubains et latino-américains. Il a voulu s’entraîner à la guérilla urbaine dans l’espoir de reprendre un jour la lutte armée pour l’indépendance du Québec, mais le gouvernement cubain a refusé : Fidel Castro avait juré allégeance à son ami Pierre Elliott Trudeau, qui était un des rares dirigeants occidentaux à reconnaître le régime communiste au pouvoir à La Havane.
« Cette amitié entre Fidel et Trudeau père a contribué à la disparition du FLQ [le Front de libération du Québec] », affirme le cinéaste Pedro Ruiz, qui revient sur l’exil de Jacques Lanctôt à Cuba dans son plus récent film.
Le docufiction Le huitième étage, jours de révolte raconte les hauts et les bas du séjour de près de quatre ans du jeune Lanctôt à Cuba. Ce membre du FLQ a eu un sauf-conduit du gouvernement Trudeau pour s’y réfugier en échange de la libération du diplomate britannique James Richard Cross, qui était retenu en otage par le groupe armé québécois.
Le film alterne entre des images d’archives et des scènes fictives, inspirées des souvenirs de Lanctôt, tournées à Cuba en mars 2023. On voit le père de famille alors âgé de 24 ans, sa conjointe et leurs deux enfants hébergés dans une suite du huitième étage du légendaire hôtel Nacional. Logé et nourri, Jacques Lanctôt tuait le temps au bar de l’hôtel avec ses amis poètes, intellectuels et guérilleros latino-américains, réfugiés comme lui au paradis socialiste de Fidel.
La poignée de membres du FLQ « n’étaient pas préparés » pour la lutte armée, affirme Jacques Lanctôt dans le film de Pedro Ruiz. « On était des révolutionnaires romantiques », ajoute l’ancien felquiste, qui soufflera ses 78 chandelles le 5 novembre.
Lors de son retour au Québec en 1979 après son exil cubain et un détour par la France, Lanctôt a été condamné à trois ans de prison pour son rôle dans l’enlèvement de Cross. Devenu par la suite auteur et éditeur, il a notamment publié les premiers romans de Dany Laferrière.
Le « révolutionnaire romantique » est aujourd’hui fatigué. Affaibli par une maladie dégénérative, il constate avec amertume que son rêve de pays reste inachevé. Certains mouvements révolutionnaires de ses « camarades » latino-américains ont eu davantage de succès que celui du Québec.
Condamné à 14 ans de prison pour terrorisme, le guérillero José « Pepe » Mujica a fini par devenir ministre, sénateur et président de l’Uruguay. Son mouvement des Tupamaros, réprimé violemment par le pouvoir en place, était une inspiration pour le FLQ, rappelle Pedro Ruiz.
Parcours du combattant
À l’époque de l’exil de Lanctôt, le régime Castro se faisait un devoir d’offrir un entraînement militaire aux révolutionnaires du continent, mais ceux du Québec n’ont pas eu ce privilège : Castro ne jurait que par son ami Trudeau, qui donnait une légitimité au gouvernement cubain mis au ban par les États-Unis. Cette amitié a duré jusqu’à la mort de Trudeau père. Le líder máximo s’était même déplacé à Montréal pour les funérailles de son ami canadien, en octobre 2000.
Tout au long de son séjour dans les Caraïbes, Lanctôt ne rêvait que d’une chose : rentrer au Québec pour continuer la « lutte de libération nationale ». Et il avait la tête dure. Devant le refus du régime castriste de l’initier à l’art de la guerre, Lanctôt a écrit au dirigeant de la Corée du Nord, Kim Il-sung, dans l’espoir d’obtenir l’asile dans cette autre terre de « résistance » contre l’impérialisme.
Sans surprise, l’appel du jeune Québécois est resté sans réponse. Il a dû se contenter de suivre des cours d’autodéfense et de maniement d’armes sur le campus de l’Université de La Havane — formation qui a été de courte durée, dans ce milieu où les murs ont des oreilles.
Le régime Castro a aussi refusé de produire un faux passeport qui aurait ouvert la voie au retour de Lanctôt au pays, mais il a permis au jeune révolutionnaire de travailler. Fidèle au catéchisme « révolutionnaire », Lanctôt a séjourné à la campagne pour apprendre à récolter la canne à sucre.
Le petit gars de Rosemont menait une « vie de pacha » dans une villa, mais il a versé du sang et des larmes en s’initiant au dur métier de manieur de machette. Ses « camarades » lui ont aussi enseigné l’art de combattre les ampoules aux mains par l’urine humaine.
« Un personnage singulier »
Pedro Ruiz, né au Venezuela dans une famille proche de la gauche, est arrivé au Québec en 2002. Il se défend de faire l’apologie de Jacques Lanctôt, qu’il ne considère pas comme un « héros ».
« C’est un personnage singulier, qui fait partie de l’histoire contemporaine du Québec. Son histoire mérite d’être racontée », affirme le cinéaste, qui est aussi photojournaliste. Il a collaboré au Devoir au cours des dernières années, avant de se consacrer en priorité au cinéma. Le FLQ est décrit par les historiens comme un groupe terroriste, mais Pedro Ruiz refuse d’accoler cette étiquette à Jacques Lanctôt, qui n’a tué personne. Et qui a purgé sa peine pour son rôle au sein du mouvement.
Un demi-siècle plus tard, l’épisode du FLQ reste un traumatisme dans l’histoire du Québec. Jacques Lanctôt affirme dans le film qu’à l’époque, il se sentait plus à l’aise à Cuba qu’au Québec, où ses idées restent minoritaires. Il partage désormais son temps entre les deux pays de sa vie. Il n’a pas été possible de le rencontrer cette semaine.
Coïncidence ou non, Pedro Ruiz a dû être patient pour financer son film. Pierre Karl Péladeau a été une des bougies d’allumage du projet. En plus de Québecor, le Fonds des médias du Canada, Téléfilm Canada et la Fondation Rogers ont fourni un total de 400 000 $. Un budget relativement modeste pour une oeuvre qui comprend un tournage de 27 jours à l’étranger. Outre Lanctôt, les comédiens Martin Dubreuil et Luis Alberto Garcia incarnent les personnages principaux.