Le cofondateur du Grand Défi, Pierre Lavoie, ainsi que des représentants de fédérations sportives s’inquiètent de l’instabilité provoquée par d’importants changements au sommet du ministère dirigé par Isabelle Charest à la suite d’allégations de climat de travail toxique.
Les départs de la sous-ministre adjointe du ministère du Sport, du Loisir et du Plein Air (MSLPA), Josée Lepage, de son adjoint exécutif Martin Cléroult et de deux directeurs sont parmi les nombreux changements annoncés il y a deux semaines aux organisations sportives qui font affaire avec le ministère, ont indiqué deux sources ayant demandé l’anonymat, car elles ne sont pas autorisées à s’exprimer publiquement.
En entrevue au Devoir, M. Lavoie a exprimé sa surprise face à l’ampleur de la réorganisation qui a été présentée par la nouvelle sous-ministre adjointe du MSLPA, Chantal Marchand. « D’habitude, il y a une chaise ou deux qui changent. Mais là, c’est un changement radical », a dit M. Lavoie, qui ignore les raisons de cette réorganisation.
En juillet, Le Devoir avait rapporté que plusieurs employés du MSLPA avaient écrit à la ministre Charest pour se plaindre du climat toxique maintenu par le bureau de la sous-ministre adjointe Lepage.
Le 6 septembre, Mme Lepage a été nommée au ministère de la Famille. M. Cléroult a été promu dans un poste de direction dans un autre secteur du ministère de l’Éducation, auquel le MSLPA est rattaché administrativement.
De plus, une nouvelle directrice générale, Pascale Côté, a été nommée. Ses tâches étaient jusque-là confiées de façon intérimaire à Mme Lepage. Et les trois directions qui relèvent de Mme Côté sont sans titulaire permanent.
Un porte-parole du ministère de l’Éducation, Bryan St-Louis, a affirmé que les raisons de cette réorganisation sont confidentielles. « Les changements de postes au sein de l’organisation, ou même les changements de ministère peuvent être faits en fonction de différents facteurs, qu’ils soient personnels, comme la volonté d’avancement, le désir de changer de secteur d’activité, et des raisons d’organisation familiale ou organisationnelles, comme une nouvelle répartition de la charge de travail, une modification des équipes de travail ou de la mission d’un secteur donné », a-t-il répondu.
Inquiétude et instabilité
Selon Pierre Lavoie, cette situation crée la même instabilité que si un enseignant était remplacé pendant l’année scolaire. « Ça commençait à aller pas pire avec le prof et pouf ! [un nouveau arrive] en plein milieu de l’année, on ne le connaît pas, et les examens s’en viennent », a-t-il dit.
Des organisations sportives comme Le Grand Défi faisaient parfois affaire avec les mêmes personnes depuis plusieurs années. « J’espère qu’Isabelle [Charest] sera capable de stimuler ses troupes pour faire du rattrapage de connaissances d’un réseau hypercompliqué, a souhaité M. Lavoie. C’est pour ça que tout le monde est inquiet. »
La directrice générale de Sports Québec, Isabelle Ducharme, a affirmé que l’arrivée d’une nouvelle sous-ministre adjointe, d’une directrice générale et l’absence de titulaires permanents dans les trois directions du secteur crée une situation inédite. « Ça ne peut pas amener autre chose que de l’instabilité. Après, ça va se stabiliser, a-t-elle dit. C’est majeur comme changement, ça s’est rarement vu dans notre milieu. »
Concernant les nouvelles nominations, Mme Ducharme, dont l’organisation représente les 67 fédérations sportives québécoises, veut « donner la chance au coureur ».
« Ce sont des gens spécialisés en ressources humaines, qui ont de l’expérience dans la fonction publique, a-t-elle souligné. Ont-ils de l’expérience en sport et EN loisir, au niveau des CV, ça ne le démontre pas. On ne voit pas leur expérience professionnelle. Ça ne veut pas dire qu’ils n’en ont pas, ce n’est pas à nous de juger. »
En février dernier, un rapport d’enquête du ministère de l’Éducation avait observé que ses propres services semblaient avoir une « connaissance insuffisante » de l’écosystème sportif québécois. « Le ministère semble n’avoir, à l’heure actuelle, que peu d’emprise pour apporter des modifications d’ordre réglementaire ou budgétaire pour influencer les actions prises sur le terrain », notaient les enquêteurs.
Cette observation a été faite dans le cadre d’une enquête suivant des allégations de harcèlement psychologique et d’agressions sexuelles visant un entraîneur de basketball féminin, au cégep Édouard-Montpetit et au collège Montmorency.
Mme Ducharme n’a pas voulu se prononcer sur la capacité des personnes qui viennent d’être nommées à combler cette connaissance insuffisante de l’écosystème sportif. « On n’a pas à juger s’ils sont équipés ou pas ; c’est au ministère à juger qui il veut mettre en place », a-t-elle dit.
Manque d’expertise
Le président de Judo Québec, Patrick Kearney, a affirmé que les récents changements ont porté un coup à l’expertise du MSLPA. Il espère que les prochaines nominations permettront d’améliorer la connaissance du milieu du sport et du loisir. « C’est peut-être des super bons gestionnaires, je ne remets pas ça en question, mais on sait qu’ils n’ont pas l’expertise propre à ce milieu-là », a-t-il souligné.
M. Kearney craint ces changements, à plus forte raison étant donné qu’ils surviennent peu de temps avant la préparation des budgets avec le ministère des Finances. « Ils n’arrivent pas de ce milieu-là, seront-ils équipés pour aller rencontrer leurs homologues aux Finances ? » demande-t-il.
Le directeur général du Réseau des unités régionales du loisir et du sport, Steeve Ager, a expliqué que l’ampleur des changements de personnel est surprenante. « Ça arrive, mais, de cette façon, c’est assez sans précédent, on n’a pas vu ça beaucoup », a-t-il expliqué.
M. Ager affirme que les nombreux départs pourraient compromettre la compréhension de « l’écosystème » du loisir et du sport. « Ça crée une certaine instabilité et une inquiétude, surtout que, là, on parle des directions et, parallèlement à ça, plusieurs professionnels avaient déjà quitté [le ministère] dans la dernière année et demie », a-t-il dit.
Selon lui, la connaissance des milieux sportifs est importante pour que les bonnes décisions soient prises au niveau politique. « Le secteur sport, loisir, activité physique, c’est beaucoup de relations, pour comprendre l’écosystème sportif, a-t-il affirmé. Quand il y a des changements de la sorte, on se demande si les gens à qui on parle vont comprendre toute cette réalité. »