Le plan et les intentions du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, pour contrer la violence et l’intimidation à l’école sont des plus nobles. Là n’est pas le problème. Il réside plutôt dans le fait qu’on nous présente comme une intention neuve le désir de documenter ces enjeux sociaux d’importance, d’offrir de la formation et du soutien en la matière et d’y sensibiliser le milieu alors que cela fait 20 ans au moins que des plans et des politiques s’empilent et s’empoussièrent dans les arcanes du ministère de l’Éducation (MEQ) sans que cela n’améliore autant qu’on l’aimerait la situation dans les écoles.
Depuis qu’il est ministre de l’Éducation, Bernard Drainville tempête — avec raison — contre l’apparent brouillard enveloppant plusieurs pans essentiels de la vie scolaire. Cette fois, il a découvert avec effarement que les écoles documentent les actes de violence et d’intimidation de manière différente et que les chiffres dont il dispose pour cerner le fléau sont incomplets et imparfaits. Qu’à cela ne tienne : un questionnaire uniforme sera désormais expédié aux écoles afin qu’elles puissent effectuer leur recension de la même manière. On saura de quoi on parle.
Faisons un léger bond en arrière pour vérifier si au Québec, ou au ministère de l’Éducation, du moins, on apprend de ses erreurs. En 2005, dans son rapport annuel 2004-2005, le vérificateur général du Québec Renaud Lachance consacre un chapitre entier aux interventions en matière de violence dans les écoles secondaires publiques. Il constate que malgré le fait que les écoles soient préoccupées par le phénomène de la violence, seules 37 % d’entre elles ont pris la peine de valider leurs perceptions avec des données. Il recommande alors que les établissements prennent la bonne habitude de s’y mettre. À cette époque, le Québec est inquiet de ces menaces qui planent sur les enfants : une vaste enquête sociale et de santé menée auprès des enfants et des adolescents québécois par l’Institut de la statistique du Québec vient de révéler, trois ans plus tôt, que 70 % des enfants de 9 ans affirment avoir subi de la violence ou de l’intimidation à l’école.
Depuis, les plans d’action et les politiques s’additionnent. En 2012, on a même adopté la Loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école, qui, pourrait-on penser en relisant ce document clé, semble contenir toutes les étapes et les conditions à tenir pour doter les écoles d’outils efficaces contre les violences. C’était il y a une dizaine d’années, et soudainement, on serait dans le brouillard ? Quel mal attaque le ministère de l’Éducation et les antennes de son réseau pour que, sempiternellement, il soit tenté de revenir au naturel et d’activer un mode de gouvernance à l’aveuglette ?
Le ministre actuel multiplie depuis quelques mois les annonces visant à rendre le réseau de l’éducation plus efficace. Son passé de journaliste le sert peut-être dans son entêtement — bien fondé — à vouloir documenter de manière factuelle un problème avant de lui assortir une solution clés en main. Deux questions se posent : d’abord, après tant d’années d’attentisme du côté du réseau de l’éducation, qu’est-ce qui nous permet de croire que cette fois sera la bonne et que le questionnaire uniforme proposé par M. Drainville réussira là où tant d’initiatives ont échoué ? Ensuite, qui aura le courage de s’attaquer à l’apparente force d’inertie dont souffre le ministère de l’Éducation, étouffé par son gigantisme ? Il est notoire que nombre de politiques et de plans de ce ministère, dont plusieurs axés sur la réussite scolaire, ont été bâtis dans une forme d’aveuglement qui n’est pas digne de sa mission. On avance par tâtonnement là où on devrait procéder avec précision.
Il est donc dommage que pour un dossier d’une telle importance, qu’on imaginait bien encadré puisqu’on en parle depuis des lustres, l’école soit encore apparemment condamnée à retourner à la case départ. Documenter l’importance du problème. Former les personnes-ressources. Soutenir les équipes-écoles et, par ricochet, les élèves. Faire de la sensibilisation et agir en prévention, deux concepts de base. Le Québec a pourtant vécu son lot d’événements troublants sur le thème de la violence au sein des écoles, qu’on pense par exemple à la tragédie de Dawson, en 2006, qui avait forcé ensuite un relevé presque quotidien des incidents violents dans les écoles, une pratique qu’on abandonna au fil du temps. Les actes de violence en milieu scolaire font la manchette. Les violences « ordinaires » se produisent au quotidien dans le secret de l’école.
Ce n’est pas que le plan d’action présenté par M. Drainville soit inutile ou défaillant, car le thème qu’il englobe est d’une importance capitale. C’est plutôt qu’il arrive de manière étonnante là où on croyait, bien naïvement, que les choses étaient déjà bien prises en main. Il semble qu’en éducation, comme ailleurs peut-être, c’est un éternel recommencement.