Le ministre Miller reconnaît le déclin du français «comme langue maternelle»

Après avoir maintes fois refusé cette semaine de reconnaître le déclin du français au Québec en préférant parler d’une langue « menacée », le ministre Marc Miller franchit désormais le pas en tenant toutefois à « apporter une nuance » à la position de son gouvernement.

« Je ne nie pas du tout quand on parle du déclin du français comme langue maternelle », a-t-il déclaré jeudi soir dans une entrevue avec La Presse canadienne.

D’ailleurs, selon lui, le fait d’avoir appris le français durant la petite enfance est « l’indicateur principal qui est soulevé » lorsque les libéraux crient sur tous les toits être « le premier gouvernement » à reconnaître le déclin du français au Québec.

M. Miller, qui est ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté et qui représente une circonscription du centre-ville de Montréal, s’est aussi insurgé que le Bloc québécois cite « à outrance » cette « fameuse statistique » sur la langue maternelle qui, tranche-t-il, ne brosse pas un « portrait qui est fiable du Québec aujourd’hui ».

Appelé à réagir, le porte-parole bloquiste en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, a dit constater que « le naturel revient au galop » alors que « la tendance à nier le déclin du français » est « encore très présente » dans les propos du ministre.

« C’est comme s’il dit : “Ah bien, je reconnais le déclin dans un indicateur que je ne trouve pas important” », a déclaré M. Beaulieu en entrevue.

Le ministre Miller a aussi affirmé se sentir « exclu » par la donnée sur la langue maternelle, tout comme, a-t-il énuméré, ses collègues ministres Pablo Rodriguez et Soraya Martinez Ferrada.

« Ça m’affecte personnellement, a-t-il déclaré. Ça élimine [aussi] toute une classe de Québécois immigrants qui ne parlent pas français chez eux, mais qui parlent le français. »

Selon lui, le Bloc amène « les gens à questionner si je suis ou non un fier Québécois », si bien qu’il se demande « à quel moment est-ce que je suis un Québécois en pleine et due forme selon Mario Beaulieu ».

Ces propos sont « déplorables », réagit M. Beaulieu, scandalisé qu’on lui fasse dire « des choses qu’on n’a pas dites » et qu’il soit critiqué sur cette base. « Les gens de toutes les langues sont des Québécois, tous ceux qui habitent le territoire sont des Québécois », a-t-il insisté.

Le ministre ne digère pas non plus que le Bloc ait qualifié de « West Island Story » les réticences de certains libéraux anglophones, lui compris, quant à la réforme de la Loi sur les langues officielles en début d’année. « Je ne viens même pas du “West Island” », a-t-il dit.

À cela, M. Beaulieu répond que « c’était une figure de style » pour englober les députés du « centre-ouest » de l’île qui tentaient de « soulever un mouvement » contre le projet de loi de leur propre parti.

Le buffet de statistiques

Ainsi, le ministre Miller, qui « refuse l’abrutissement du débat », préfère la statistique voulant que « 94 % » des Québécois puissent parler le français et juge qu’« il faut parler du nombre de gens en termes absolus aussi » étant donné que ce chiffre augmente au Québec.

« C’est à l’honneur de la Charte de la langue française, a-t-il insisté. Ça, c’est une augmentation évidemment depuis la Révolution tranquille. »

Pourtant, le dernier recensement confirme une fois de plus le recul du français au Québec à travers tous ses indicateurs.

De 2016 à 2021, Statistique Canada a observé une baisse de la proportion de Québécois qui avaient le français comme langue maternelle (de 77,1 % à 74,8 %), comme langue parlée de façon prédominante à la maison (de 79,0 % à 77,5 %) et comme première langue officielle parlée (de 83,7 % à 82,2 %).

Cette diminution s’observe également dans la statistique de M. Miller puisque la proportion de Québécois pouvant soutenir une conversation en français est passée durant la même période de 94,5 % à 93,7 %, bien qu’elle ait été stable durant plusieurs décennies après avoir connu une chute marquée dans les années 1970.

Quant à la langue la plus souvent utilisée dans les milieux de travail, le français est passé de 79,9 % à 79,7 %. La différence est encore plus marquée en comparaison avec le recensement de 2011 où le français recueillait 81,9 %.

Le sociologue Jean-Pierre Corbeil et le démographe Marc Termote, respectivement professeurs à l’Université Laval et à l’Université de Montréal, ont tous deux indiqué dans des entrevues avec le journal Le Devoir que la donnée sur la langue maternelle perd de sa pertinence avec le temps en raison de l’influence de l’immigration au pays.

Si M. Termote jugeait que la langue parlée à la maison est « un indice incontournable », les deux experts étaient divisés sur l’indicateur de la connaissance du français.

M. Miller a reconnu que l’anglais n’est pas menacé au Québec et estime même que « ce serait imbécile de l’affirmer ». Il a toutefois noté que l’anglais comme langue maternelle est en déclin dans la province. « C’est bizarre quand on prend cette logique puis on l’applique à ce que M. Beaulieu avançait », a-t-il lâché.

La controverse sur la reconnaissance du recul du français au Québec est repartie de plus belle mercredi soir lorsque M. Miller tenait mordicus, lors d’un témoignage en comité parlementaire, à répéter que le français était « menacé » dans la province, en répondant aux questions des porte-parole conservateur puis bloquiste en matière de langues officielles.

Le lendemain, lors de la période des questions à la Chambre des communes, le Bloc a tourné les réticences du ministre en dérision. « On aurait cru James Bond en train de se faire torturer et qui refusait de cracher le morceau », avait illustré son leader parlementaire, Alain Therrien.

M. Miller était jusqu’à présent le seul ministre à refuser de reconnaître le déclin du français au Québec, mais d’autres élus du Parti libéral du Canada ont fait de même par le passé.

Cela avait forcé la députée de Saint-Laurent, Emmanuella Lambropoulos, à démissionner du comité des langues officielles. Et tout récemment, la députée de Notre-Dame-de-Grâce–Westmount, Anna Gainey, a refusé de s’avancer sur ce terrain malgré l’insistance des journalistes.

À voir en vidéo

You May Also Like

More From Author