«Le paysage abstrait»: le photographe Edward Burtynsky expose ses toiles abstraites à l’Arsenal

Photographiés de très loin et de très haut par l’oeil unique du Canadien Edward Burtynsky, un étang d’eau salée du Sénégal évoque une toile de l’abstraction lyrique, le delta du Colorado fait immédiatement penser à une oeuvre de l’expressionnisme abstrait et d’autres prises encore de champs ou de mines, captées aux quatre coins du monde, rappellent les travaux de Clyfford Still, d’Hedda Sterne ou Adolph Gottlieb.

Une immense murale, mais vraiment gigantesque, reprenant la technique dite du all over, ne serait pas reniée par Jackson Pollock. Elle représente le mur de Pengah au Parc national de Komodo en Indonésie, un environnement de corail sain menacé par la surpêche, le réchauffement des eaux et la pollution industrielle.

Une trentaine d’oeuvres semblables composant un fascinant et inquiétant autoportrait de la planète exploitée et détruite par l’anthropocène est exposée à l’Arsenal de Montréal. La proposition est complétée par une nouvelle vidéo aussi envoûtante (par sa force esthétique) qu’affligeante (par son sujet traitant de l’économie extractive) intitulée In the Wake of Progress, produite par Bob Ezrin, « légende de la musique canadienne » qui a travaillé avec Pink Floyd, Lou Reed et Peter Gabriel. Le tout a été commissionné par Marc Mayer, ancien directeur du Musée d’art contemporain de Montréal et du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC). Bref, on peut parler d’un trio de supervedettes.

« Notre relation à Marc et moi remonte à des décennies, a raconté M. Burtynsky rencontré mardi, la veille de l’inauguration de sa nouvelle exposition. Après son passage au MBAC, je l’ai appelé pour lui proposer de m’aider, de travailler avec moi en organisant l’expo, en participant à la sélection des photos en écrivant sur elles. Nous avons choisi des oeuvres qui ne se révèlent pas elles-mêmes immédiatement en ajoutant des textes décrivant la réalité photographiée. »

M. Mayer, lui aussi présent aux rencontres de presse, ajoute avoir proposé de faire « quelque chose de différent » par rapport à l’habituelle présentation thématique du corpus de Burtynsky, un des artistes canadiens les plus réputés dans le monde. « Je lui ai dit que je souhaitais une thématique seulement, celle de l’abstraction, dit celui qui a choisi le titre de l’expo : Le paysage abstrait. Il y a tellement de ses photos qui sont abstraites que j’ai proposé de les mettre toutes ensemble pour voir ce que ça donne, une exposition d’art abstrait finalement, mais qui oblige le public à lire les cartels pour réaliser de quoi il s’agit et l’impact sur l’environnement des activités humaines. »

Abstraction et extraction

 

Quand il parle des oeuvres en français, M. Mayer utilise le terme « tableaux » puisqu’elles sont à l’échelle de grands formats en peinture et qu’elles en empruntent les codes. En anglais il joue sur l’ambiguïté du terme « picture », préféré dans ce cas à « painting ».

Cette très riche mécanique expressive peut donner l’impression d’une sorte d’esthétisation de l’exécrable. L’effet paradoxal sourd encore davantage du visionnement de la bande In the Wake of Progress liant des photos des quarante dernières années sur une musique forte de Phil Strong pour finalement pousser à l’extase devant des chaînes de montage de prolétaires asiatiques ou des montagnes de déchets. Les films précédents de M. Burtynsky, Anthropocène, Paysages manufacturés ou Watermark, faisaient le même effet équivoque.

« Je crois que quiconque regarde mes travaux ou mes livres, à la fin, se retrouve dans une position inconfortable, explique l’artiste. Mais mon travail ne traite pas des désastres. Je n’irai pas photographier la ville incendiée de l’île de Maui. Je montre un monde parallèle au nôtre, un monde où se fait l’extraction pour nous permettre de vivre comme nous le faisons. […] Je veux que cette exposition inspire les gens, donne aux visiteurs une vue d’ensemble de notre planète et leur donne envie d’agir pour un avenir durable. »

Marc Mayer parle d’« un effet séducteur de la beauté », mais utilisée de manière pédagogique par un artiste engagé. « Cette beauté vous donne envie d’en connaître un peu plus, dit-il. Mais il ne faut pas en être victime. Il faut ensuite réfléchir à la réalité de notre monde et son effet sur la planète. En fait j’aime que chacune de ces oeuvres propose du beau et du laid en même temps. Cet équilibre entre les deux, cette dichotomie, nous ressemble. »

La sélection des oeuvres dites abstraites couvre une vingtaine d’années et ne suit aucun ordre chronologique ou topographique. Les grandes photographies ont été réalisées par l’artiste et ses équipes techniques d’abord en hélicoptère et depuis une bonne décennie avec des drones modifiés pour recevoir les lentilles de haute précision. Le repérage des sites se fait souvent en utilisant Google Earth et une des quelque trente prises est directement tirée du logiciel de visualisation de la Terre.

Le paysage abstrait

Edward Burtynsky, à l’Arsenal de Montréal, jusqu’au 1er octobre.

À voir en vidéo

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