Le piège de l’autocratie | Le Devoir

Si je ne trouve pas les États-Unis parfaits, loin de là, je n’irai pas me jeter au pied de la Russie ou de la Chine pour autant. Trois pays qui veulent diriger le monde à leur façon, trois autocraties.

Quand quelqu’un me dit « je n’aime pas les États-Unis, donc j’appuie la Russie ou la Chine pour faire contrepoids », ça ne fonctionne pas, car ces trois pays ont la même philosophie autocratique : ou vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous ! Il n’y a pas grand place pour le dialogue ouvert. 

Suffit de regarder l’usage du droit de véto au Conseil de sécurité des Nations unies, sur Wikipédia, pour le comprendre : « Depuis la création de l’ONU, la majorité des vétos au Conseil de sécurité ont été exercés par l’Union soviétique. Entre 1946 et février 2022, sur 210 propositions de résolution bloquées par un véto, 117 ont fait l’objet d’un véto de l’URSS puis de la Russie (dont 13 conjointement avec la Chine) ; 82 des États-Unis (dont 22 avec le Royaume-Uni et/ou la France) ; 29 du Royaume-Uni (dont 24 avec les États-Unis et/ou la France) ; 16 de la France (dont 15 avec les États-Unis et/ou le Royaume-Uni) ; 16 de la Chine (dont 8 avec la Russie), incluant un usage du véto par la République de Chine (Taïwan), qui occupa le siège de la Chine jusqu’en 1971. » 

En plus, ce qui n’aide pas les États-Unis, c’est qu’ils n’apprennent pas de leurs erreurs et les refont toujours. Ils s’associent indistinctement aux ennemis de leurs ennemis, comme s’ils s’agissaient de partenaires fiables et d’amis. 

Ils ont aussi trop souvent soutenu des régimes autoritaires ou dictatoriaux à l’étranger, allant contre la volonté des citoyens de ces pays. Ils ont même contribué à renverser des gouvernements démocratiquement élus. Pour un pays qui se dit une grande démocratie, les États-Unis n’ont pas vraiment aidé la démocratie dans le monde. On peut penser au renversement d’Allende au Chili et à la dictature de Pinochet qui a suivi, ou, moins connu, au cas de l’Iran, tel que nous le rappelle Wikipédia encore. « En 1951, le premier ministre Mohammad Mossadegh nationalise l’anglo-iranien Oil Company (AIOC). En août 1953, il est éloigné du pouvoir à la suite d’un complot orchestré par les services secrets britanniques et américains, l’opération Ajax. Après sa chute, Mohammad Reza Shah Pahlavi met en place un régime politique autocratique et dictatorial fondé sur l’appui américain. » 

Souvent, les États-Unis auraient été mieux d’écouter et de dialoguer. Cela se serait moins souvent retourné contre eux. Mais des raisons idéologiques et économiques expliquent leurs choix, comme la peur du progrès social assimilé au communisme dans leur idéologie. Ils préfèrent s’en remettre à la charité et considérer la souffrance humaine comme une vertu. 

Leur faiblesse idéologique pour des régimes souvent autoritaires hors de leur pays est donc connue des autres puissances que sont la Russie et la Chine, pour ne nommer qu’elles. Il n’est donc pas surprenant qu’elles s’en prennent maintenant aux régimes démocratiques, car elles savent bien que les États-Unis ont un talon d’Achille, sinon deux : leur propre démocratie, qui est imparfaite, ainsi que l’ombre de Donald Trump, qui flirte avec la dictature et un retour à la Maison-Blanche. 

Voir tomber la démocratie aux États-Unis devient donc un rêve possible pour quelques dictateurs, dont les présidents de la Chine et de la Russie, Xi Jinping et Vladimir Poutine, car à partir de ce moment, ils ne feraient pas que parler de la supériorité de l’autocratie et de la dictature par rapport à la démocratie, mais ils exulteraient, un grand pays démocratique étant passé dans leur camp. 

Ce n’est pas pour rien, toutes ces menaces dans le monde, car cela fait pression sur les démocraties, et en particulier sur les États-Unis. En réaction, cela pourrait conduire les États-Uniens à voter pour un régime qui se dit musclé, celui de Trump, ce qui ferait basculer le pays dans les régimes autoritaires, voire dictatoriaux. La Chine et la Russie auraient réussi leur coup stratégique. 

À partir de là, quelques pays de l’Europe et de l’Amérique du Sud qui ont déjà des régimes de droite justifieraient leur système autocratique et pourraient même basculer dans la dictature. Il ne faut jamais oublier que l’Europe a connu des régimes dictatoriaux jusqu’à la fin des années 1970, avec l’Espagne qui a vécu une grande partie du XXe siècle sous le franquisme. 

Il paraît peut-être bien de dire qu’on est contre l’impérialisme états-unien, mais si on soutient des dictatures à la place, ce n’est certainement pas gagnant pour la liberté non plus. Ça s’appelle un marché de dupes et plusieurs tombent dans ce piège.

Si on nous ment à tour de bras ici, comme certains le croient, dites-vous que c’est pareil ailleurs. Alors, on prend l’information où ? Si l’on ne peut faire confiance aux grands médias et aux journalistes, qui sont censés avoir un code d’éthique, il nous reste quoi ? Rien. 

Quelles sont les bases auxquelles on peut se fier ? S’il n’y en a plus, on est bien mal pris. En fait, on se trouve devant l’individualisme dominant : à chacun ses nouvelles et sa pensée, sans point commun ni convergence. Il n’y a plus de société, que le marché et la publicité pour nous attirer.

Certains régimes ont peut-être avantage à attaquer ces sources pour faire tomber les démocraties dans le chaos. C’est peut-être ça, la nouvelle guerre mondiale qu’on n’a pas vue venir, car les vraies armes sont idéologiques et passent par le contrôle de l’information et de la désinformation. On ne veut pas de morts sur les bras, mais des consommateurs serviles. 

Que les réseaux sociaux bloquent les réseaux d’information et laissent les rumeurs et les fake news pulluler ne peut que faire leur affaire dans ce programme de déstabilisation des démocraties. Contrairement au film à succès Le monde après nous (V.F. de Leave the World Behind), disponible sur Netflix, le chaos ne vient pas de la fin d’Internet, mais entre par Internet et les réseaux sociaux en particulier. Et une fois le ver du doute entré dans la pomme de la démocratie, il la mange de l’intérieur. 

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