L’étonnante sortie de six ex-premiers ministres aura au moins réussi à montrer une certaine intransigeance du ministre québécois de la Santé, Christian Dubé. Le message alambiqué des anciens s’est concentré sur l’autonomie des centres hospitaliers universitaires et des instituts. Pourtant, au sujet du projet de loi 15 (PL15), et pour paraphraser Cyrano, on pouvait dire : « Oh ! Dieu !… bien des choses en somme ! »
Plusieurs volets de ce projet de loi sont préoccupants. Je n’en mentionne ici que quelques-uns. Ça fait un peu plus peur quand on donne l’impression d’avoir peu d’écoute en haut lieu.
Le 24 septembre dernier, le premier ministre François Legault était en entrevue aux Coulisses du pouvoir. J’étais un peu abasourdi de l’entendre expliquer comment il souhaitait rémunérer davantage les infirmières travaillant en région éloignée, mais qu’il en était incapable pour cause de syndicalisme. Moi qui exerce depuis 20 ans dans les hôpitaux montréalais, je ne compte plus le nombre de fois où une infirmière a quitté Montréal pour la banlieue ou plus loin encore, faute d’avoir les moyens de s’installer sur l’île, à proximité de son lieu de travail. Imaginons maintenant des incitatifs financiers à l’établissement hors de la ville.
Une autre idée mise en avant par le PL15 est la transférabilité de l’ancienneté des infirmières quand elles changent d’hôpital. S’il s’agit certainement d’une idée d’apparence saine et noble, ses écueils seront sans doute insurmontables… Combien d’infirmières restent en poste pour ne pas perdre leur ancienneté après 15-20 ans d’exercice ? Assurément beaucoup. Dans le contexte de pénurie de main-d’oeuvre dans le réseau public, permettre une mutation sans pénalité, avec prime dans certains cas, semble absolument incompatible avec le maintien, et encore plus l’essor, de nos activités tertiaires en ville, où la patientèle est plus lourde qu’ailleurs.
Quid de la place faite au privé ? Dans la section Idées du 26 octobre, l’économiste politique et chercheur en politiques de santé Andrew Longhurst présente très bien plusieurs inquiétudes relatives à l’apport du privé en résumant l’expérience décevante tentée dans l’Ouest canadien, notamment les coûts élevés du secteur. Pourquoi répéter les mêmes erreurs plutôt que de s’en inspirer pour faire les choses différemment ? Advenant l’ouverture de ce marché dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, il y a fort à parier que le réseau public se trouvera plombé de cas lourds et onéreux à traiter et d’un manque d’intervenants qui rendra le système encore un peu plus dysfonctionnel.
Dans l’immédiat, donc bien avant que le PL15 ne soit adopté, le plan de rattrapage en chirurgie se révèle un échec dans plusieurs hôpitaux. Impossible d’étendre les heures de fonctionnement des blocs opératoires sans infirmières ou inhalothérapeutes. Malgré toutes les volontés administratives du monde, on ne peut pas opérer sans personnel. Si on présume que la situation se détériora à brève échéance, il est difficile d’imaginer qu’on se sortira la tête de l’eau.
Le mois de novembre et les grèves annoncées vont ralentir encore un peu plus nos efforts. La loi sur les services essentiels exige le maintien de 70 % des activités habituelles des blocs opératoires. Comme nous fonctionnons depuis plusieurs mois à 70 % de notre capacité, est-ce à dire que nous ne verrons aucun changement ? Ou alors que nous sommes en grève malgré nous depuis longtemps ?
Souhaitons un peu d’écoute et d’ouverture de nos dirigeants. Et vivement des conditions de travail attrayantes pour tous les intervenants du réseau, afin que l’on puisse enfin se concentrer à soigner les patients dans des délais raisonnables.