Le Procès Goldman : critique à la barre

5 min read

La colère de Kahn

1976. Pierre Goldman, militant et intellectuel d’extrême-gauche, fait face à son deuxième procès, après une condamnation à perpétuité en première instance. Il est accusé de quatre braquages à main armée, dont un qui a causé la mort de deux pharmaciennes. Si l’homme reconnaît les trois premiers crimes, il clame son innocence en ce qui concerne les meurtres.

La presse de l’époque s’empare de l’affaire, et Goldman devient une figure médiatique importante, surtout après la parution de son livre, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France. Cette figure et toute son ambiguïté se retrouvent au centre du dispositif de Cédric Kahn. On comprend bien pourquoi, tant le personnage fascine pour son intransigeance éthique, sa verve et ses coups de gueule, qu’il assène avec un aplomb désarmant.

Mais de ces diatribes ressortent aussi toutes les contradictions de l’accusé, notamment lorsque la réalité politique (violences policières, racisme et antisémitisme) se transforme en élans paranoïaques. Où tracer la frontière ? C’est bien la question d’un film qui en fait sa figure de style principale. Avec son cadre en 1.33 somptueux, la caméra encapsule les corps et les visages dans un carré étouffant, où ne ressortent que les arêtes des murs du tribunal, et surtout cette barre des témoins que Goldman refuse d’utiliser.

 

Le procès Goldman : Photo Arthur HarariUne résonance avec l’actualité peut-être ?

 

S’il est innocent, il peut le prouver sans les artifices d’un spectacle où ses proches devraient témoigner de son comportement. Avec la même rigueur, Cédric Kahn choisit de mettre en scène le procès-verbal de l’affaire, en se concentrant au maximum sur les paroles qui ont été prononcées. On pourrait donc craindre du Procès Goldman qu’il ne soit un film verbeux, bêtement attaché à la réalité des faits. Il n’en est rien.

Au contraire, le réalisateur s’attache à l’attrait de cette parole dans un contexte cinématographique. Après tout, que peut-il y avoir de plus millimétré et stratégique qu’un film de procès ? Au cœur des déambulations des avocats, et des face-à-face avec le juge, Kahn capte avant tout un tempo, que ses champs-contrechamps pulsent avec minutie, jusqu’à ce que la machine se grippe. La colère de Pierre Goldman (brillamment incarné par Arieh Worthalter) ne cesse de perturber le déroulé des événements.

 

Le procès Goldman : Arieh WorthalterArieh Worthalter impressionne

 

Anatomie d’une France

L’affaire est trop grave pour évoluer dans le calme plat, car elle porte en elle le bouillonnement de son époque. C’est là la prouesse du long-métrage. Sans jamais quitter son lieu clos, il touche du doigt les paradoxes d’une France en peine avec son histoire récente, à commencer par la Seconde Guerre mondiale et sa responsabilité face à la Shoah.

Face à un hors-champ aussi pesant, l’image ferait donc figure de vérité. Pour autant, Cédric Kahn s’avère beaucoup plus fin que cette assertion facile. L’image est, elle aussi, sujette à interprétation. Elle reste dépendante d’un point de vue, au même titre que les propos qu’elle peut illustrer. Ce n’est sans doute pas un hasard si le septième art aime jouer avec cette ambivalence, jusqu’à multiplier les “vérités” pour les opposer (le fameux effet Rashômon).

 

Le procès Goldman : photoOnoda, Anatomie d’une chute, Le Procès Goldman… Arthur Harari aurait-il besoin de dormir ?

 

Si on ne peut plus croire l’image, qui ou quoi croire ? La question semble plus que jamais prégnante à l’heure de notre surconsommation permanente d’infos, qui a d’ailleurs amené l’effet Rashômon à perdre de sa finesse dans le cinéma contemporain (Le Dernier Duel et la “vérité vraie” de sa dernière partie). On a besoin de se rassurer sur cette primauté, alors qu’elle mérite d’être remise en cause.

Tout comme Anatomie d’une chute, Le Procès Goldman puise sa beauté dans l’impuissance de l’image. On ne verra jamais de reconstitutions des événements rapportés, parce qu’elles ne feraient qu’influer sur notre perception de circonstances que nous ne connaissons pas. Cédric Kahn préfère nous mettre à la place de juré, avec tout l’inconfort que cela suppose.

 

Le procès Goldman : Arieh Worthalter, Arthur Harari“La République, c’est moi”

 

Dès lors, le film nous confronte à nos propres biais, tandis que la virtuosité de son écriture nous enivre autant que par la qualité globale de sa direction d’acteur (Arthur Harari, co-scénariste d’Anatomie d’une chute, est fantastique dans la peau de l’avocat Georges Kiejman). Le cinéaste sait que l’éloquence de son protagoniste suffit à rendre son récit passionnant, mais aussi à le rendre sympathique. Cette parole, qu’elle vienne de la défense ou de l’accusation, se donne à voir, se met justement en scène.

Son sens du spectacle pointe du doigt ses propres limites et son insuffisance. Si la vérité et l’histoire ne sont que des suites de points de vue morcelés et rassemblés, que nous reste-t-il dans cette époque de post-vérité ? Pas grand-chose, si ce n’est les visages que Cédric Kahn filme comme autant de portraits fascinants. On peut toujours essayer, en vain, de sonder leur âme.

 

Le procès Goldman : affiche

You May Also Like

More From Author