Près du quart des candidates à l’exercice de la profession infirmière (CEPI) ne se soumettront pas le 18 septembre prochain au controversé examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Elles ont choisi de le passer en mars 2024, moment où l’OIIQ prévoyait adopter un nouveau format d’épreuve, utilisé aux États-Unis et ailleurs au Canada. De futures infirmières québécoises n’ont pas attendu : elles ont déjà réussi le test américain donné au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique.
Mélanie Bélair Domenech, qui détient un baccalauréat en sciences infirmières, a échoué à l’examen de l’OIIQ en septembre 2022, comme près de la moitié des CEPI qui le passaient elles aussi pour la première fois. Elle s’est rapidement tournée vers l’ordre professionnel de la Colombie-Britannique, le British Columbia College of Nurses and Midwives (BCCNM), afin de passer l’épreuve américaine (connue sous l’abréviation NCLEX-RN). Elle l’a réussie en avril dans un local à Montréal. Deux semaines plus tard, la nouvelle membre du BCCNM obtenait sa licence du Québec, après avoir suivi deux formations en ligne de l’OIIQ.
Selon elle, les longues démarches administratives auprès du BCCNM en valaient le coup. Pour faciliter la vie des CEPI désireuses de lui emboîter le pas, elle participe à un groupe Facebook intitulé « Étude NCLEX Québec-Canada », qui compte près de 1250 membres.
« Quand on va faire l’examen de l’OIIQ, on ne peut pas savoir si on l’a réussi, même si on a énormément étudié, dit Mélanie Bélair Domenech. Juste ce stress, je ne voulais pas revivre ça. » Elle craignait de ne pouvoir pratiquer au Québec en atteignant le nombre maximal d’échecs à l’examen de l’OIIQ.
« Le fait que j’ai fait le NCLEX, ça ouvre quand même des portes, ajoute l’infirmière clinicienne au Centre universitaire de santé McGill. Je peux travailler partout au Canada. » Elle affirme ne pas avoir l’intention de renouveler son permis auprès du BCCNM.
Une infirmière québécoise, à qui Le Devoir a parlé et qui a réussi en avril le NCLEX-RN donné par l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick, envisage pour sa part de quitter le Québec dans un an ou deux pour travailler aux États-Unis. Elle souhaite rester anonyme puisqu’elle travaille pour un Centre intégré de santé et de services sociaux montréalais.
L’épreuve de l’OIIQ fait les manchettes depuis un an, en raison du taux d’échec élevé des futures infirmières. Dans un rapport d’enquête rendu public au printemps, le commissaire à l’admission aux professions, Me André Gariépy, a signalé que l’examen de l’OIIQ tenu à l’automne 2022 comportait « des failles et des fragilités ». Sa fiabilité était « faible » et sa validité « affectée », a-t-il écrit.
Depuis, l’OIIQ a annoncé son souhait de recourir au NCLEX-RN dès l’an prochain. Il a aussi mis en place diverses mesures, comme la possibilité de passer le test en mars 2024 plutôt qu’en septembre. Selon des données obtenues auprès de l’OIIQ, près de 950 CEPI ont choisi de reporter leur examen au printemps prochain. Quelque 3145 CEPI se sont inscrites à l’examen du 18 septembre. Parmi elles, 562 ont échoué en mars. L’OIIQ indique que l’épreuve sera le « même examen corrigé selon les mêmes standards » que celle donnée auparavant. Les candidates auront cependant 30 minutes de plus pour le faire, précise-t-on dans un courriel. « Certaines recommandations du Commissaire, notamment en ce qui concerne l’établissement de la note de passage, sont appliquées depuis l’examen de mars 2023 », rappelle-t-on.
À une semaine de l’épreuve, le stress commence à monter chez bien des CEPI. « Tout le monde en parle, tout le monde est stressé, tout le monde ne sait pas à quoi s’attendre », résume Élizabeth Carbonneau, une CEPI à l’hôpital du Suroît, situé à Salaberry-de-Valleyfield.
La future infirmière, qui a fait une technique en soins infirmiers, tentera sa chance pour une première fois le 18 septembre. « C’est sûr que j’aimerais ça, comme tout le monde, le passer », remarque Élizabeth Carbonneau, qui vient de commencer un baccalauréat en sciences infirmières. « Mais je me dis qu’il y a tellement de personnes qui coulent que, si je coule, je sais que ça ne va pas nécessairement me définir comme future infirmière. »
Selon la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), bien des CEPI ont reporté leur examen à mars 2024 parce qu’elles ont manqué de temps pour étudier au cours des dernières semaines. Le syndicat explique que les futures infirmières ont passé leur été à travailler « au moins 40 heures par semaine, mais certainement plus ».
Le NCLEX-RN fait aussi débat
Questionné vendredi au sujet de l’examen de l’Ordre, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a indiqué que sa collègue Sonia LeBel ainsi que l’Office des professions du Québec suivaient le dossier de près. La Presse canadienne avait révélé plus tôt que l’adoption de l’examen américain pour mars 2024 était peu réaliste. L’Office des professions, qui doit l’approuver, serait loin d’être emballé par l’idée d’une adaptation du test américain. M. Dubé ne le semble pas non plus.
« On a dit qu’on n’était pas très à l’aise avec leur approche d’aller chercher l’examen américain pour toutes sortes de raisons, a dit le ministre en conférence de presse. Je m’attends à ce que, dans les prochaines semaines, il y ait des commentaires très clairs de l’Office des professions. » Au Nouveau-Brunswick, la version française a posé problème pour des candidates francophones.
À l’OIIQ, on signale que, même si l’Ordre a exprimé le désir en mai de recourir au NCLEX-RN « rapidement », « les travaux impliquent la contribution de partenaires externes pour lesquels nous n’avons pas de contrôle sur les délais ». « Si l’échéancier devait être repoussé, nous en informerions les parties prenantes le plus rapidement possible », assure-t-on.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), lui, souligne que « dans le contexte de pénurie de main-d’oeuvre actuelle, le MSSS compte sur [la venue de] nouvelles infirmières ». Il a encouragé les établissements de santé à offrir des « activités de préparation supplémentaires » à l’examen.