Irresponsable ? Catastrophiste ? Incendiaire ? On hésite sur le bon adjectif à utiliser pour décrire le rapport sur l’islamophobie que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne (CSPDP) vient de déposer.
Les attentats à la mosquée de Québec et de London ont profondément bouleversé les Canadiens. Tous les crimes haineux mentionnés dans le rapport sont inacceptables, et les gouvernements ont la responsabilité de les combattre et doivent tout mettre en oeuvre pour favoriser la coexistence pacifique et la sécurité de leurs citoyens. Mais amplifier indûment la menace en dépeignant un climat de terreur pour les musulmans canadiens ne peut que nuire davantage. Les chiffres de Statistique Canada infirment d’ailleurs cette thèse alarmiste. Pourquoi taire, par exemple, que les populations noire et juive sont, et de loin, davantage victimes de crimes haineux ?
Ce rapport, s’il suggère bien quelques rares mesures raisonnables, préfère brosser un tableau hideux et sans nuances de la situation des musulmans canadiens. Ils se sentiraient attaqués, des femmes et des filles auraient « peur de quitter leur domicile pour aller au travail et à l’école », certains subiraient même de l’islamophobie tous les jours.
Définition, laïcité et idéologie
C’est que la définition proposée de l’islamophobie est très large afin d’englober le plus de cas possible. Par exemple, le fait de ne pas accorder aux musulmans, dans le milieu de travail, des locaux et du temps pour les prières est considéré comme relevant de l’islamophobie, au sens de racisme antimusulman (p. 66). L’approche intersectionnelle, comme les notions d’islamophobie systémique et de micro-agressions inconscientes, permet également d’amplifier le phénomène.
Le rapport reconduit également une compréhension hautement caricaturale de la Loi sur la laïcité de l’État. Les témoins interrogés, qui confondent le respect des personnes avec le respect absolu des préceptes de l’islam, « s’entendent tous pour dire que la loi 21 est discriminatoire, qu’elle a exacerbé l’islamophobie et qu’elle devrait être abrogée » (p. 65). Elle est même accusée de « déshumaniser les personnes ». On le voit, le CSPDP n’a pas entendu comme témoin un seul des nombreux musulmans qui soutiennent la loi 21.
Le rapport évite également de penser la réalité de l’islamisme violent et la peur légitime qu’il soulève, y compris chez les musulmans. Seul Rachad Antonius, parmi les 138 témoins entendus lors des 21 séances publiques, ose en traiter expressément, mais le rapport le passera sous silence. Il n’y aurait, à entendre les autres témoins, que des préjugés et des stéréotypes à combattre à grands coups de campagnes médiatiques et de formations obligatoires contre les biais inconscients pour tous les fonctionnaires et les élèves.
Le rapport ne retient que ce qui appuie une conclusion tirée d’avance. Tout écart statistique, comme la sous-représentation des musulmans chez les fonctionnaires ou leur surreprésentation dans les prisons, est compris comme une « preuve » d’islamophobie systémique, sans qu’il y ait recherche d’une explication plus plausible. Le rapport confond également idéologie et science en prétendant, sans justification, que « la plus grande menace pour la sécurité nationale provient des groupes militant pour la suprématie blanche » (p. 50). On taira donc un document sur la stratégie antiterroriste du Canada qui précisait pourtant que « l’extrémisme islamique violent est la principale menace pour la sécurité nationale du Canada » .
Une offensive contre les institutions chargées de la sécurité
Ce sont assurément les instances responsables de la sécurité nationale qui hantent ce rapport. Cinq des 13 recommandations y sont d’ailleurs consacrées, mais vont dans le sens opposé à celui qu’on attend de la part d’un comité sénatorial crédible. C’est que ce dernier semble surtout à la remorque des recommandations du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), contre lesquelles nous faisions déjà une mise en garde ici.
Le CNMC ne réclame en effet rien de moins que l’interruption de la stratégie nationale de lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation, et la suspension de la Division de la revue et de l’analyse (DRA) de l’Agence de revenu du Canada (ARC), qui est chargée de repérer les menaces de financement du terrorisme au Canada qui s’exercent par l’entremise d’organisations caritatives. Il propose plutôt que soient scrutés les organismes de sécurité nationale, dont le Service canadien du renseignement de sécurité, et les services frontaliers du Canada, qu’il soupçonne de pratiques racistes, xénophobes, islamophobes et même de subir la « pénétration de la suprématie blanche ».
Le CSPDP approuve tout cela et affirme que « les lois, les politiques et les pratiques relatives à la sécurité nationale sont profondément ancrées dans l’islamophobie et continuent de perpétuer des préjugés à l’encontre des musulmans » (p. 51). La preuve ? Soixante-quinze pour cent des révocations d’associations caritatives posant le plus grand risque de financement du terrorisme au Canada visaient des organismes musulmans, alors que ceux-ci représentent moins de 1 % de l’ensemble des organisations caritatives (p. 57). Malgré le témoignage de Sharmila Khare (directrice générale de la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC), selon lequel « les vérifications de la DRA ne sont entreprises que lorsqu’il y a un risque d’abus terroriste », le rapport conclut néanmoins que la DRA « fait preuve d’un parti pris structurel à l’encontre des organismes de bienfaisance musulmans » (p. 58).
Le simple fait que le modèle d’évaluation du ministère des Finances soit axé sur le risque serait même, selon le professeur de droit Anver Emon, « une déclaration explicite d’islamophobie » . Mieux, qu’un Canadien voyageant à Gaza et combattant pour le Hamas devienne suspect pour le gouvernement serait, ajoute-t-il, un « exemple d’islamophobie systémique » ! Faut-il vraiment relever que le CSPDP perd ainsi toute crédibilité en « oubliant » que le Hamas est sur la liste des entités terroristes du Canada ? Qu’en amalgamant islam et islamisme violent sous le parapluie de l’islamophobie, il mine le sentiment de sécurité de ses citoyens ?
Comment expliquer pareille intoxication irresponsable ? Une partie de l’explication réside peut-être dans le fait que la présidente de ce comité sénatorial, Salma Ataullahjan, est toujours conseillère au CNMC. Rappelons, pour finir, que cette organisation fait partie des plaignants qui sont devant les tribunaux pour faire invalider la loi 21.