« Le retour de Lagaffe », ou quand Lagaffe finit par rimer avec Delaf

L’annonce de la parution d’un nouvel album de Gaston Lagaffe, lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2022, en avait pris plusieurs par surprise. Prévu originalement pour une sortie à l’automne de la même année, Le retour de Lagaffe, 22e tome des aventures de ce personnage maladroitement sympathique, aura mis un an de plus à être publié, à la suite d’une contestation juridique menée par la fille de Franquin, Isabelle, à savoir si les éditions Dupuis avaient le droit de reprendre le personnage créé par son père en 1957.

Finalement, l’arbitre a tranché en mai dernier, et c’est le 22 novembre que l’album se retrouvera en librairie. Au grand soulagement de son auteur, le Québécois Delaf (Marc Delafontaine), qui s’est retrouvé au coeur d’une saga judiciaire qui ne le concernait pas directement.

Il n’en demeure pas moins que c’est quand même quatre années de sa vie qui auraient pu, comme ça, prendre le bord du bac de recyclage. « Je m’étais fait à l’idée que l’album pouvait ne pas sortir, et j’étais quand même en paix avec ça. Je m’étais engagé dans cette aventure pour le plaisir de le faire et en me disant que j’allais apprendre énormément. Aussi, quand cette saga a éclaté, il restait beaucoup de travail à faire sur l’album, alors c’est le fait de ne pas avoir de réponse que je trouvais difficile. »

Et Isabelle Franquin, dans tout ça ? A-t-elle demandé à voir des dessins, à rencontrer l’auteur qui allait reprendre l’oeuvre de son père ? Dans le contexte, cela aurait été naturel. « Non, parce que pour elle, c’était plutôt une question de principe. J’étais prêt à le faire, elle ne le souhaitait pas. Ce n’est pas plus grave que ça. »

Cela doit quand même être particulier de travailler tout ce temps et de fournir un album qui ne pourrait pas voir le jour. On peut s’imaginer, à quelques mois de sa date de parution originale, qu’un album doit être presque prêt à être envoyé chez l’imprimeur. « Non, il n’était pas terminé. Il existait d’un bout à l’autre, mais il y avait encore des planches qui étaient encrées sur lesquelles j’avais envie de revenir. Mon dessin a énormément évolué durant tout ce processus, qui a duré quatre ans. Bref, je suis un peu perfectionniste sur les bords, et il y avait encore beaucoup de travail à faire. »

Et comment devient-on celui qui va reprendre Gaston ? Parce que s’il y a, à la base, une accointance avec les éditions Dupuis, qui ont publié la série Les nombrils cosignée par Delaf, il y a quand même tout un pas à franchir avant de se faire offrir de reprendre un des personnages les plus populaires de la bande dessinée francophone. « En fait, j’avais été invité à faire une planche pour l’album La galerie des gaffes [un album hommage à Gaston fait par plusieurs auteurs, sorti en 2017]. La consigne était de faire un gag de Gaston, dans mon style à moi, et j’ai décidé d’évacuer cette consigne parce que je voulais le faire à la Franquin, en me disant que si ça ne passait pas, c’était pas plus grave que ça. Et ça a tellement bien fonctionné qu’en 2018, on m’a demandé de reprendre Gaston. »

Une série qui est chère à Delaf

Et on hésite avant d’accepter, ou on se lance directement dans l’aventure ? « J’étais un super fan de Gaston. C’était ma série préférée quand j’étais petit. Je m’étais fait des posters parce que je n’en trouvais pas dans les magasins. Je passais même l’Halloween déguisé en Gaston. »

« Et quand on me l’a offert, j’ai eu l’impression de rentrer dans un monde parallèle, en me disant que ça ne pouvait pas exister ce genre de choses là. J’étais étonné, et renversé. J’ai quand même pris le temps d’y réfléchir, on a toujours un peu peur d’être un imposteur, même si le petit gars en moi me criait d’accepter ! Parce qu’entre la page hommage et l’album, il y a un monde. Mais le timing était bon, je terminais un album des Nombrils, et je leur ai dit que j’étais partant pour essayer, mais qu’il fallait me donner du temps et les moyens. »

Et pour reprendre une balle au bond, il faut tout relire, tout étudier ? « J’ai embarqué là-dedans en me disant que j’allais beaucoup apprendre. J’ai tout relu, j’ai catalogué, j’ai pris des notes pour me rapprocher du dessin de Franquin. Lui-même l’avait fait en reprenant Spirou de Jijé, et il disait qu’il fallait que la transition se fasse en douceur, que le lecteur ne devait pas voir la différence et, qu’ensuite, l’auteur pouvait tranquillement s’installer. Je me suis donc donné le temps d’apprendre et, à force de faire des planches, je me suis rendu compte que c’était possible, et c’est arrivé. Il n’y a pas vraiment eu de moment où on s’est dit : “Yes, on le fait !” »

Et elle est là un peu, quand même, cette touche personnelle ? « Oui ! Bien entendu, j’ai repris des classiques de Gaston, comme la boule de bowling ou le gaffophone, mais j’ai aussi décidé de lier des gags ensemble, de créer une partie d’histoire plus continue. J’ai aussi introduit des nouveaux personnages, comme le personnage du psy ou de l’imprimeur. Mais tout ça, c’est fait en douceur. »

Et il y en aura d’autres, des albums de Gaston signés Delaf ? « Ça a quand même pris quatre ans, mais ça a été super excitant et je me suis vraiment senti privilégié de pouvoir jouer avec un personnage que j’adorais. Par contre, cela s’est avéré être un processus très épuisant. J’ai toujours choisi mes projets par instinct et, pour l’instant, mon instinct est encore dans la brume. Je pense qu’on est content du côté de Dupuis, mais je dois encore y réfléchir. »

Mais, honnêtement, après lecture de ce premier Gaston signé Delaf, notre instinct nous laisse croire qu’il y en aura probablement d’autres. On l’espère très fortement.

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