C’était il y a plusieurs mois, avant les grands remous et le triste décès du chanteur Karl Tremblay. Quand le metteur en scène Sébastien Soldevila, des 7 doigts de la main, a proposé aux Cowboys Fringants de créer une oeuvre de chant, de danse et de cirque à partir de leur répertoire, le guitariste et compositeur Jean-François Pauzé a levé un sourcil dubitatif. Des mois plus tard, les deux hommes sont devenus complices et parlent d’une même voix pour défendre ce qui est né de leur rencontre, la comédie musicale Pub Royal. L’ambitieux spectacle prend son envol mercredi soir au Grand Théâtre de Québec dans un contexte émotif — au moment où ces lignes étaient écrites, la production encaissait encore le coup.
Le projet est ambitieux, donc, parce que le tout est une création originale, portée par pas moins de sept comédiens-chanteurs, sept danseurs et six artistes de cirque. Pub Royal comptera aussi cinq nouvelles chansons composées pour l’occasion par Pauzé. Et le tout se déroulera dans un huis clos.
Sébastien Soldevila a une bonne feuille de route en la matière, mais la mise en place de toutes ces variables a quand même demandé du boulot. Du gros boulot. Ne serait-ce que pour faire le tri dans les quelque 150 chansons des Cowboys Fringants et en tirer du sens. « Mais on s’entend que le plus important de n’importe quoi dans ce milieu, là, c’est l’histoire », dit-il.
C’est notamment ce qui a convaincu Jean-François Pauzé de donner le feu vert au projet, avec à la clé une carte blanche pour tout ce qui n’était pas musical. Les deux hommes, rencontrés la semaine dernière, restent tout de même discrets sur l’essence du récit, qui réserve certaines « twists importantes », explique le metteur en scène. Mais on connaît la prémisse de départ : un homme qui a un ennui avec son automobile entre dans le seul établissement des alentours, le pub Royal.
« En fait, c’est une parabole de la vie, laisse filer M. Soldevila. Dans le sens où on parle de cet homme lambda, qui s’appelle Jonathan Doyé [joué par Richard Charest], qui arrive dans ce bar-là et il va voir sa vie être transformée. C’est écrit à la manière presque d’un conte, d’une fable, d’une farce. Ça veut dire qu’il y a un côté très surréaliste, mais qui est ancré dans la réalité, qui est proche de l’univers des Cowboys. »
Cet univers, résume-t-il, est souvent composé d’airs joyeux, mais de textes « assez durs », comme sur le titre D’une tristesse, qui fait partie du spectacle et où le refrain dit : « Le monde est d’une tristesse et les humains sont malheureux / Derrière les beaux filtres, non, les gens ne sont pas joyeux. »
Le protagoniste va donc passer le spectacle avec les gens installés au bar — et qui sont donc interprétés par la vingtaine d’artisans de Pub Royal — « sans vraiment comprendre pourquoi il est là. Et, petit à petit, il va le découvrir », dévoile M. Soldevila.
Le débit de boissons au coeur du récit est la propriété du personnage de Siriso, joué par Kevin Houle, mais est mené par la gérante Loulou Lapierre (Émilie Josset), un personnage de l’imaginaire de la formation de Repentigny, tout comme La Catherine, une serveuse interprétée par Alexia Gourd. Yvan Pedneault, Martin Girouxet Christian Laporte complètent le groupe d’interprètes-acteurs.
Il y aura du mouvement sur scène pendant ce spectacle nourri du travail d’Olivier Kemeid aux dialogues et du talent de la chorégraphe Geneviève Dorion-Coupal. « Je voulais des choses qui claquent parce que leur musique [celle des Cowboys Fringants], elle claque », résume Sébastien Soldevila. Ce dernier estime que le véhicule choisi pour porter cette histoire est le bon, et que « rien n’est superflu ». « Ce qui est intéressant dans le cadre des comédies musicales, ce sont les outils qu’on a pour exprimer des moments précis de l’histoire. Là, j’ai de l’acrobatie, du théâtre, du cirque, de la musique chantée live… Donc c’est cette panoplie-là qui fait que ça donne une narration qui est variée », ajoute-t-il.
Le compositeur Jean-François Pauzé a mis du sien dans l’aspect musical du projet. Il a refusé certains choix de chansons, entre autres. « Tu fais de bonnes affaires dans la vie, tu en fais des moins bonnes, je voulais que dans ça, ce soit des chansons que j’aime », explique-t-il.
Le guitariste a aussi fait rimer concessionet adaptation. Il a notamment accepté d’intégrer une pièce honnie du répertoire des Cowboys Fringants en « retravaillant le couplet qui me gossait depuis plusieurs années ». « J’ai rafistolé quelque chose qui marche maintenant. C’est comme un peintre qui enlève un arbre de son tableau après coup parce qu’il était laid. »
Une grande part de son apport aura été la création de cinq nouveaux morceaux, dont certains servent « à colmater, à cimenter » le récit et l’univers de Pub Royal. « Parce que, veux, veux pas, les chansons qu’on a choisies du répertoire existant, elles ont leur individualité, et faire une histoire qui se tient avec des chansons qui, à la base, n’ont aucune cohérence ensemble, c’était compliqué », illustre Jean-François Pauzé. Il précise que « les dialogues n’ont pas été écrits en fonction de ce qui arrivait aux personnages dans les chansons » existantes.
Pub Royal sera donc présenté sur scène d’abord au Grand Théâtre de Québec, du 22 au 26 novembre, avant de se déplacer à la Place des Arts de Montréal, du 6 décembre au 6 janvier. La comédie musicale sera présentée cet été à Trois-Rivières et à Sherbrooke, mais aussi à Paris en avril, le temps de cinq représentations au Grand Rex. Partout, imagine-t-on, l’ombre du chanteur Karl Tremblay planera.
« On va retourner en Europe, affirme M. Soldevila. On va aller en Belgique, en Suisse, on va retourner en France, on va retourner à Paris, à Lyon, à Marseille, c’est sûr et certain. »