Le transport en commun était déjà confronté à des défis financiers majeurs avant la pandémie, qui n’a fait que les exacerber, au point où le spectre d’une réduction du service plane sur plusieurs villes, y compris Montréal. Il existe pourtant des solutions documentées pour prévenir un tel scénario « catastrophique », relèvent les experts joints par Le Devoir.
Québec a annoncé la semaine dernière son intention d’éponger 20 % du déficit des sociétés de transport d’ici 2028 avec une aide d’un peu plus de 500 millions de dollars. Dans ce scénario, qui sera révisé dans les prochains jours, les villes devraient assumer le reste du déficit cumulé des sociétés de transport de la province, qui devrait atteindre 2,5 milliards de dollars d’ici 5 ans.
Cette perspective inquiète de nombreuses municipalités, qui affirment ne pas avoir les moyens d’assumer une aussi grande part de ce manque à gagner. Dans ce contexte, la Société de transport de Montréal (STM) évalue la possibilité de fermer son métro à 23 h et de réduire son offre de service sur certaines lignes de bus.
« Nous ne souhaitons aucunement mettre en oeuvre ces scénarios hypothétiques », assure la conseillère corporative aux affaires publiques de la STM, Isabelle A. Tremblay. Mais si Québec ne bonifie pas son offre, les recours de la société de transport sont limités, celle-ci ayant déjà réduit ses dépenses de 18 millions de dollars l’an dernier grâce à des « initiatives d’optimisation ». « En 2023, ce sont plus de 50 millions que nous réussirons à absorber », note Mme Tremblay.
La Société de transport de l’Outaouais (STO) a pour sa part adopté jeudi son budget pour l’année 2024, qui prévoit augmenter son tarif mensuel de 105 à 110 $. Le prix d’un billet unitaire passera également de 4,25 $ à 4,50 $.
« Les augmentations tarifaires font partie des sources de revenus nécessaires pour éponger le manque à gagner et font aussi partie des attentes du gouvernement », explique par courriel la conseillère aux communications de la STO, Anne-Marie Charron. La société de transport n’écarte pas non plus la possibilité d’accompagner ces hausses tarifaires d’une diminution du service offert aux résidents de Gatineau et des environs, si le soutien financier de Québec est insuffisant.
Un problème connu
Les problèmes financiers des sociétés de transport de la province ne sont pas nouveaux. Dès 2019, le gouvernement lançait un vaste chantier sur le financement de la mobilité durable au terme duquel des constats inquiétants ont été soulevés concernant la baisse des revenus tirés de la taxe sur les carburants, qui sert à financer le transport en commun, dont les dépenses d’exploitation étaient déjà à la hausse.
« On savait qu’on s’en allait dans un mur », note ainsi la directrice générale de Trajectoire Québec, Sarah V. Doyon.
Depuis, les sociétés de transport ont durement écopé lors de la pandémie de COVID-19, qui a fait chuter pendant quelques années l’achalandage du transport en commun dans la province — qui a depuis repris à 80 % de ce qu’il était avant la pandémie. La hausse des salaires, du prix du carburant et des coûts d’entretien fait pendant ce temps grimper d’année en année les dépenses des sociétés de transport, qui ne savent plus comment les absorber.
« Et maintenant, on s’en va vers une situation catastrophique avec ce que propose le gouvernement », prévient le porte-parole de l’Alliance Transit, Samuel Pagé-Plouffe, qui appréhende un cercle vicieux pour le transport en commun. « Si les services se dégradent, ça va nuire à l’achalandage. »
Financement
Vendredi, en point de presse à Montréal, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a fait valoir que les ressources financières du gouvernement ne sont pas illimitées et qu’une augmentation du financement du transport en commun pourrait impliquer une baisse des fonds disponibles pour les hôpitaux et les corps policiers, par exemple.
La tarification kilométrique, des tarifs d’immatriculation plus élevés et des modes de péage sur certaines infrastructures routières sont pourtant autant d’options évoquées dans le cadre du chantier sur le financement de la mobilité durable dont Québec pourrait s’inspirer pour augmenter le financement du transport en commun sans couper dans d’autres postes de dépenses, relèvent plusieurs experts. De telles mesures ont déjà été mises en place dans plusieurs villes d’Europe et des États-Unis, notamment.
« Est-ce que la politique de financement reflète encore la réalité d’aujourd’hui ? Sans doute que non », a concédé vendredi Mme Guilbault, qui s’est dite « très ouverte » à réviser celle-ci.
Avec Jeanne Corriveau