Les Cowboys Fringants, groupe d’une génération

Le décès de Karl Tremblay éprouve toute une génération de Québécois pour qui Les Cowboys Fringants étaient le groupe qui portait le mieux leurs angoisses et leurs désillusions. Une génération devenue adulte après le référendum de 1995, tourmentée par le climat et la mondialisation, déçue de ce qu’est devenu le Québec. Comme si elle avait pris conscience qu’elle n’était pas née à la bonne époque.

Karl Tremblay aura été la voix de tous ceux qui sont animés d’une certaine nostalgie en pensant à un temps qu’ils n’ont pas — ou très peu — connu. En témoigne Lettre à Lévesque (2004), dans laquelle les membres des Cowboys se désolent de la situation du Québec en invoquant la figure de l’ancien premier ministre, pourtant décédé alors qu’ils n’étaient encore qu’enfants. « À part de ça mon Ti-Poil / La vie est-tu moins plate au ciel ? / Parce qu’ici les temps sont un p’tit peu sombres / J’te dis ça d’même, mais r’vire-toi pas dans ta tombe ».

Et que dire d’En berne (2002), qui pourrait presque faire passer Désenchantée de Mylène Farmer pour l’hymne d’une génération qui embrasse la modernité. « Si c’est ça l’Québec moderne, ben moi j’mets mon drapeau en berne / et j’emmerde tous les bouffons qui nous gouvernent / Si tu rêves d’avoir un pays, ben moi j’te dis qu’t’es mal parti /T’as ben plus de chances de gagner à’ loterie », scandait Karl Tremblay dans le refrain de cette pièce signée par le guitariste du groupe, Jean-François Pauzé — comme la quasi-totalité des chansons des Cowboys Fringants, d’ailleurs.

Leur no future était somme toute assez caractéristique du cynisme qui habitait ceux qui ont aujourd’hui l’âge d’être « rentr[és] les pieds gelés juste à temps pour Passe-Partout ». Toute une différence par rapport à leurs parents, qui croyaient assister dans leur jeunesse « au début d’un temps nouveau », note le sociologue Jean-Philippe Warren.

« On sent dans les textes des Cowboys qu’ils sont toujours indépendantistes, qu’ils rêvent toujours d’une meilleure société… Mais on sent aussi qu’ils sont clairement désabusés par rapport à tout ce qui se passe. Alors ils s’enferment dans un genre d’uchronie en s’imaginant ce qu’aurait pu être le Québec s’il avait été indépendant, si on avait fait des choix de société différents », analyse celui qui enseigne à l’Université Concordia.

Le renouveau de la chanson engagée

 

Le musicologue Danick Trottier s’est lui aussi intéressé à l’oeuvre des Cowboys. Pour lui, le succès du groupe s’inscrit dans le mouvement plus large de renouveau de la chanson engagée qu’a connu le Québec au début des années 2000. Mes Aïeux et Loco Locass en étaient partie prenante également, dans le sillage des Colocs, qui avaient défriché le chemin pour tous ces groupes dans les années 1990.

« Loco Locass, Mes Aïeux et, surtout, Les Cowboys Fringants, ce sont tous des groupes qui se revendiquent indépendantistes. Mais contrairement aux chansonniers des années 1960 et 1970, on ne chante plus l’espoir. On est loin du Plus beau voyage de Claude Gauthier ou du Tour de l’île de Félix Leclerc. Au contraire, ces groupes dénonçaient plutôt l’aplaventrisme des Québécois », souligne M. Trottier, qui est notamment professeur au Département de musique de l’Université du Québec à Montréal.

Les Cowboys Fringants étaient de cette génération pour qui les enjeux planétaires ne paraissent plus si éloignés. Les inquiétudes sur la mondialisation ou les changements climatiques ont teinté plusieurs de leurs textes. Suffit de penser à la ballade apocalyptique Plus rien, chanson écoanxieuse avant l’heure.

Mais reste qu’au début des années 2000, les Cowboys faisaient aussi partie de la dernière génération de jeunes francophones qui étaient en majorité indépendantistes. Depuis, les préoccupations de la jeunesse ont changé. La souveraineté recueille aujourd’hui plus d’appuis dans les groupes d’âge plus vieux et, forcément, ça se ressent dans le discours des jeunes chanteurs d’aujourd’hui.

Cet attachement au Québec, aussi dépassé puisse-t-il être, transparaît d’ailleurs beaucoup dans la démarche artistique du groupe, souligne Danick Trottier. « D’avoir transposé des éléments du folklore québécois dans un groupe de folk-rock, c’est vraiment ce qui a fait leur originalité. D’avoir ajouté du violon et de l’accordéon dans leurs chansons, c’est un signal identitaire très fort. C’est une volonté très forte de s’identifier au Québec », ajoute le musicologue.

Irremplaçable Karl Tremblay

Quel avenir maintenant pour les chanteurs engagés ? Il y aura, bien sûr, toujours des artistes pour porter telle ou telle cause. L’héritage des Cowboys Fringants est d’ailleurs manifeste lorsqu’on écoute certains artistes — comme Émile Bilodeau, qui les cite comme une source d’inspiration.

Mais il n’en demeure pas moins que la disparition de Karl Tremblay est une lourde perte, selon Danick Trottier, qui s’en attriste. « C’est aussi un séisme pour l’économie musicale. Il y a beaucoup de festivals qui comptaient sur les Cowboys pour attirer du monde, ce qui leur permettait de programmer de plus petits artistes. »

Figure incontournable de la musique québécoise des 20 dernières années, Karl Tremblay pourrait avoir droit à des funérailles nationales. Le gouvernement Legault l’a offert jeudi à la famille du chanteur, décédé à 47 ans des suites d’un cancer de la prostate.

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