L’auteur est professeur de littérature à Montréal, collaborateur de la revue Argument et essayiste. Il a notamment publié Ces mots qui pensent à notre place (Liber, 2017) et Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants ? (Boréal, 2008).
Au-delà de son instrumentalisation politique par les conservateurs et les libéraux, qui tentent les uns comme les autres de nous jouer un remake de la « guerre des toilettes » qui a eu lieu avant la campagne électorale de 2017 aux États-Unis, la question de savoir si les écoles devraient ou non avertir les parents que leur enfant mineur a demandé à changer de prénom d’usage (pour adopter un prénom associé traditionnellement à l’autre sexe) soulève des enjeux assez sérieux.
Pour cette raison, elle devrait échapper à l’éternelle et acrimonieuse polémique qui oppose désormais autour de chaque question de soi-disant « progressistes » et de prétendus « réactionnaires ».
Les premiers prétendent qu’un adolescent mineur devrait avoir le droit de demander que son école change son prénom d’usage sans que ses parents en soient informés. Il s’agit, estiment-ils, d’assurer la sécurité et la bonne santé de cet adolescent, qui pourra, durant les heures qu’il passe à l’école, être assuré qu’on le traite selon sa « véritable identité de genre ». Ils tiennent pour acquis que si l’adolescent en question ne veut pas parler de cette « transition » avec ses parents, c’est que ces derniers sont forcément d’affreux transphobes prêts à user de violence et de coercition à son égard.
Dans leur esprit, il n’y a que deux positions possibles face à un adolescent de moins de 16 ans qui déclare s’identifier dorénavant à l’autre sexe : l’accepter sans poser de question comme son droit le plus strict ou s’y opposer fermement, par transphobie (que l’on suppose toujours être alimentée par les conceptions religieuses ou politiques les plus conservatrices, les plus oppressives et les plus archaïques).
De l’autre côté, il y a ceux qui estiment scandaleux que les parents de cet adolescent ne soient pas tenus informés de quelque chose d’aussi important le concernant. Ils entendent protéger les droits des parents de contribuer à l’éducation de leurs enfants (tant qu’ils sont mineurs). Leur cacher une information aussi cruciale sur leur fils ou leur fille apparaît en effet comme un déni assez radical de ce droit.
Cela revient en outre à traiter lesdits parents en parias, en ennemis de la société, dont leurs propres enfants doivent être à tout prix protégés. Je parierais que bien des parents canadiens — quelles que soient leurs convictions politiques — ont, tout comme moi, été surpris que de tels règlements existent dans les écoles de leur province.
Dans un passé encore récent, les régimes politiques qui ont voulu soustraire totalement les enfants à l’influence néfaste de leurs parents, voire dans certains cas les monter contre eux, étaient rarement recommandables. L’école a certes un rôle émancipateur à jouer. Mais pour que ce rôle soit socialement acceptable, il doit se cantonner à la transmission de savoirs objectifs (sur ce point, elle ne doit faire aucune compromission) et non imposer aux jeunes qui la fréquentent, ni d’ailleurs à leurs parents, des règles morales ou une novlangue prétendument « inclusive » qui sont loin de faire l’unanimité au sein de notre société.
Si l’on aborde de façon apolitique ou dépolitisée ce choix de tenir ou non informés les parents du changement de prénom d’usage de leur enfant, il me semble que le simple bon sens trancherait en faveur de l’information des parents. Quel parent pencherait d’ailleurs pour la seconde option s’il s’agissait de « son » enfant et non de celui d’un père transphobe et violent largement fantasmé ?
Il est en outre faux de croire que les autres adultes que ces adolescents fréquenteront dans leurs écoles auront autant à coeur que leurs parents leur santé ou leur équilibre psychologique à long terme. La politique officielle de ces mêmes écoles est d’accepter inconditionnellement toute demande de changement de genre émanant d’un élève. Le simple fait de questionner cet élève sur ses motivations y est déjà considéré comme un acte transphobe. Dans ces circonstances, il est probable que les membres du personnel scolaire se soucieront davantage de leur propre carrière que du bien-être d’un des nombreux adolescents dont ils ont la charge.
En tant que parent, si j’avais été confronté à la demande de changement de sexe ou d’identité de genre d’un de mes fils alors adolescents, il m’apparaît évident que je n’aurais pas accepté sa demande comme parole d’évangile, mais que j’aurais cherché à savoir, en en parlant longuement avec lui, d’où lui venait cette idée ou ce sentiment de ne pas être un garçon. Je l’aurais également informé des risques qu’entraînait la prise d’hormones ou de bloqueurs de puberté, ainsi que des séquelles permanentes qu’il encourrait.
Avec compassion, sa mère et moi aurions également essayé de comprendre sa peine, son trouble et son mal-être. Mais, en tout respect, nous aurions essayé aussi de le convaincre d’attendre avant de réaliser des choix irréversibles. Est-ce cela être transphobe ? J’aurais plutôt tendance à croire que c’est ainsi que devraient agir vis-à-vis de leur enfant des parents responsables.
Sur cette question comme sur d’autres, l’idéologie est en effet manichéenne ; elle voit le monde en noir et blanc. La réalité, elle, est toujours parsemée de zones grises.
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