Le Festival de musique émergente d’Abitibi-Témiscamingue (FME) marque-t-il la fin de la saison des festivals d’été ou le début de la rentrée musicale d’automne au Québec ? Réponse : tout ça en même temps, et encore mieux cette année : jeudi en début de soirée, à cette heure ou l’apéro s’étire, Thierry Larose donnait sur la grande scène extérieure le coup d’envoi sur à la 21e édition de l’événement, allongeant ses chansons sous un soleil radieux présageant d’un week-end tout aussi clément durant lequel nous assisterons aux retours sur scène d’Elisapie et de Karkwa. L’été est revenu chez nous avec la bonne musique.
Après une édition anniversaire durant laquelle l’organisation du festival a pris d’assaut la rue Murdoch pour y aménager la plus grande scène extérieure de son histoire, le FME revenait à ses aises en plantant sa scène rue Murdoch, à côté du Petit Théâtre de Rouyn-Noranda. Plus modeste, mais pas moins populaire, la programmation annonçant une soirée torride mettant en tête d’affiche le Québec Redneck Bluegrass Project qui a passé l’été à butiner d’un festival à l’autre, semant la joie et la débauche sur son chemin – prévoyante, les organisateurs avaient fait installer une clôture de sécurité additionnelle devant la scène, histoire de mieux contenir les ardeurs. Bien vu.
À l’heure ou Larose a éclos sur scène, l’auditoire demeurait civilisé, mais le musicien a vite fait de le fouetter. Les chansons de son dernier album Sprint !, paru en mars dernier, ont gagné du muscle sur scène, alors que dans l’écho des guitares électriques on décelait quelque chose de la folie des Pixies. Entouré de quatre accompagnateurs aguerris (dont Lou-Adriane Cassidy aux choeurs et claviers et Alex Martel aux guitares), l’auteur-compositeur-interprète a tricoté ensemble les chansons de ses deux albums pour dérouler ce spectacle vivifiant.
Cap ensuite sur l’Agora des Arts pour assister au plateau double mettant en vedette N Nao et Laurence-Anne, la première ayant offert le printemps dernier le fascinant L’eau et les rêves, la seconde dévoilant sur scène les chansons nouvelles de l’album Oniromancie, son troisième, attendu le 8 septembre – le genre de primeur pour lequel le FME a acquis sa notoriété de portrait polaroïd de l’automne musical québécois.
Elles furent toutes deux excellentes et nous y reviendrons, mais parlons d’abord de l’Agora des Arts, si vous le permettez. Autrefois l’église Notre-Dame-de-Protection, elle fut reconvertie en salle de spectacle en 2008 avec le rêve de lui donner d’investir pour lui permettre de remplir adéquatement sa nouvelle mission ; après des années de gestation, les travaux ont débuté à l’été 2021, pour ne rouvrir au public qu’à la fin de l’hiver.
Les Rouynorandiens n’ont rien perdu pour attendre : ce petit théâtre de 220 places est une splendeur. De l’ancienne Agora des Arts, sans sièges fixes ni climatisation (qu’est-ce qu’on suait dans cette ancienne église !), ne reste que le souvenir des arches au plafond. Désormais configuré en théâtre à l’italienne, il est parfaitement adapté pour le théâtre et la danse autant que la musique, et bénéficie d’une sonorisation qui a magnifié les chansons de N Nao et Laurence-Anne. Près de 19 millions de dollars ont été investis dans ces lieux auquel on a ajouté une vraie billetterie, un bar et une petite salle (le Studio) d’une centaine de places. Avec le Petit Théâtre et le Cabaret de la Dernière Chance à proximité, Rouyn-Noranda peut désormais se targuer d’avoir son propre Quartier des spectacles.
N Nao et ses deux musiciens (un guitariste et un batteur, tous deux manipulant des synthétiseurs) ont été brillants et expressifs – et quelle voix a-t-elle, Naomi ! Quelle astucieuse façon de la mettre en valeur en l’échantillonnant ou la trafiquant en direct pour lui donner de nouvelles formes. Magnétique, l’autrice-compositrice-interprète marchait sur la fine ligne entre l’avant-garde et la chanson, entre le rêve et la réalité, ce qui rejoignait parfaitement le thème du prochain album de Laurence-Anne.
Elle l’avait répété, ce premier spectacle : c’est comme si Laurence-Anne jouait depuis toujours les chansons d’Oniromancie, disque qui marie (mieux encore que sur Musivision, paru en 2021) la rigueur des rythmes post-punk et les couleurs diffuses des synthétiseurs qu’elle affectionne depuis le début de sa carrière. Épaulée par quatre musiciens, Laurence-Anne est apparue sur scène vêtue d’une robe de druidesse, tapant sur des gongs, longeant la scène lorsqu’elle ne portait pas sa guitare au cou. Rock rude ou ambiances planantes, tout était réussi.