L’inéligibilité de Donald Trump devant la Cour suprême des États-Unis

Grosse semaine juridique pour Donald Trump qui, après avoir subi mardi un important revers sur son immunité présidentielle dans une cour d’appel fédérale, va voir la question de son éligibilité en vue du scrutin présidentiel de novembre prochain entendue jeudi à la Cour suprême des États-Unis.

Le plus haut tribunal américain se prépare en effet à entendre les arguments sur la légitimité de retirer le nom du populiste des bulletins de vote du Colorado en raison de sa participation à l’insurrection du 6 janvier 2021 contre le Capitole. La Cour suprême de l’État a statué en décembre dernier qu’une disposition de la Constitution américaine permettait aux autorités électorales locales de le faire.

C’est la première fois dans l’histoire du pays que sa haute cour doit se pencher sur ce point constitutionnel, tombé dans l’oubli depuis plus de 100 ans, dont la lecture et l’interprétation sont devenues un enjeu de taille alors que Donald Trump s’impose comme le favori des républicains dans le cycle électoral qui vient de s’amorcer aux États-Unis.

Sur quoi va se pencher la Cour suprême ?

Le tribunal examinera le 14e amendement de la Constitution, qui s’est surtout retrouvé jusqu’à maintenant au coeur de l’élaboration du droit et de la démocratie américaine sur les questions de droits civils ou de vie privée. Entre autres.

La section 3 de cet amendement ratifié en 1868, au lendemain de la guerre civile, n’avait que très peu retenu l’attention jusqu’à la fin de 2020. Cette disposition vise à empêcher d’anciens élus ou titulaires d’une charge publique s’étant « engagés dans une insurrection » de reprendre le pouvoir. La marche des partisans de Donald Trump, lancés par l’ex-président contre le pouvoir législatif américain le 6 janvier 2021, lui a malheureusement donné un nouveau coup de jeune. 

« Je suis très heureux de voir que la Cour suprême va enfin trancher sur cette question », a dit en entrevue au Devoir cette semaine Gerard Magliocca, professeur de droit à l’Université de l’Indiana, qui a été l’un des premiers à rappeler cette section 3 au souvenir du présent, le 29 décembre 2020, soit huit jours à peine avant cette insurrection visant à renverser la certification du vote exprimé lors de la présidentielle en faveur de Joe Biden. « Il est très important de décider si Donald Trump peut se présenter avant la tenue des élections. » 

Saisie par un groupe de six électeurs républicains et indépendants, la Cour suprême du Colorado a tranché, en statuant en décembre dernier, à quatre juges contre trois, que l’ex-président avait bel et bien pris part à une insurrection et devait, pour cette raison, voir son nom retiré des bulletins de vote de la présidentielle de novembre. 

Quelques jours plus tard, la secrétaire d’État démocrate du Maine a également invoqué cette disposition constitutionnelle pour exclure à son tour Donald Trump du scrutin dans ce coin de la Nouvelle-Angleterre. Les deux décisions ont été temporairement suspendues en attendant que la Cour suprême des États-Unis se prononce.

Quels arguments défendront les parties impliquées dans cette cause ?

Les avocats des citoyens qui ont porté leur cause devant la justice du Colorado se sont grandement appuyés sur les travaux de la commission parlementaire bipartite chargée d’enquêter sur le 6 janvier. Son rapport a établi la responsabilité de l’ex-président dans cette tentative d’empêcher une transition pacifique du pouvoir exécutif en cherchant à empêcher la certification du vote par les élus américains.

Selon eux, la section 3 du 14e amendement a d’ailleurs été éprouvée en septembre 2022 sur le commissaire d’un comté rural du Nouveau-Mexique — Couy Griffin, c’est son nom —, démis de ses fonctions par un juge de cet État après avoir été reconnu coupable d’intrusion au sein du Capitole le 6 janvier 2021. Il était le chef d’un groupe d’insurgés baptisé Cowboys for Trump. C’était la première fois en plus de 100 ans que ce point de la Constitution était utilisé. L’homme a porté cette décision devant la Cour suprême. 

L’équipe de défense du milliardaire populiste va certainement chercher à jouer sur les 111 mots qui composent cette section 3 en soulignant pour leur part que la sanction, selon le texte, vise beaucoup de titulaires de charge publique et d’officiers des États-Unis, mais sans jamais mentionner clairement les fonctions de président ou de vice-président. Les avocats de Trump pourraient aussi faire valoir que l’ex-président s’est engagé à « préserver, protéger et défendre la Constitution » en prêtant serment. Or, la section 3 inscrit le fait d’avoir participé à une insurrection après avoir prêté serment de « soutenir » cette constitution. Une différence dans le verbe qui devrait lui éviter une sanction, sont-ils convaincus.

Pour Donald Trump, « la Cour suprême du Colorado a outrepassé les limites de son autorité en interprétant la loi de l’État, et en le faisant si mal qu’elle a trahi » les dispositions du législateur, a écrit vendredi dans un billet de blogue Derek Muller, professeur de droit à l’Université Notre-Dame, qui a suivi de près ce dossier. « Mais les affaires se sont mal déroulées pour Trump, [qui] a perdu sur le fond dans les deux seules juridictions », soit le Colorado et le Maine, où la Constitution américaine a été retournée contre lui, laissant ainsi présager une décision qui pourrait lui être défavorable au sein de la Cour suprême. 

Ses avocats vont également chercher à faire valoir que l’ex-président n’a rien d’un insurgé puisqu’il n’a pas forcé les portes du Capitole le 6 janvier — une idée d’ailleurs politiquement défendue cette semaine, à la veille des premières audiences de la Cour suprême, par plusieurs de ses alliés politiques au sein de l’appareil législatif américain. Mardi, une soixantaine d’entre eux ont en effet dévoilé une résolution affirmant que Donald Trump « n’a pas pris part à une insurrection ou à une rébellion contre les États-Unis ». Avec sa très mince et chaotique majorité républicaine, il n’est pas évident que la Chambre des représentants réussisse à la faire passer. 

Que pourrait décider la Cour suprême ?

Avec cette affaire, la haute cour du pays est placée à l’intersection très inconfortable du droit et de la politique, un point de collision que n’apprécient pas particulièrement les neuf juges qui composent cette instance. Elle dispose toutefois de plusieurs options qui lui éviteraient de prendre une décision définitive, et ce, malgré le fait que les deux parties insistent sur l’importance de statuer sur l’éligibilité de Donald Trump avant la tenue du prochain scrutin présidentiel. 

La Cour suprême des États-Unis pourrait affirmer que le dossier n’est pas assez mûr pour prendre une décision. Ou encore, statuer uniquement sur l’éligibilité de Trump au Colorado, mais pas ailleurs au pays. Elle pourrait aussi remettre le sort du populiste entre les mains du gouvernement, du Congrès ou encore celles des électeurs. 

L’article 3 du 14e amendement permet aux élus de renverser une décision d’inéligibilité frappant un ex-officier des États-Unis par un vote des deux tiers de la Chambre, un scénario toutefois hautement improbable s’il devait être appliqué à Donald Trump, et ce, en raison de l’extrême clivage entre les forces en présence au Congrès.

« La Cour suprême pourrait aussi affirmer qu’une décision de sa part ne serait requise que si Trump remporte les élections de novembre », ajoute le constitutionnaliste américain Gerard Magliocca. « Mais j’espère qu’elle ne prendra pas ce chemin et qu’elle va plutôt se prononcer sur son éligibilité ou pas. »

Actuellement, le droit de l’ex-président d’apposer son nom sur un bulletin de vote est contesté dans 35 États à travers le pays, selon une recension effectuée par le New York Times.

« L’impact de la décision de la Cour suprême va être énorme », estime M. Magliocca, et ce, que Trump soit reconnu apte ou inapte à se présenter, selon lui, puisque le plus haut tribunal du pays va ainsi être obligé d’aborder le sujet hautement délicat des élections présidentielles de 2020.

L’ancien prédisent a justifié l’attaque contre le Capitole en évoquant une fraude électorale massive qui, quatre ans plus tard, est toujours en contradiction avec les faits.

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