L’une des plus belles maisons de Baie-Saint-Paul bientôt rasée ?

La maison du 50, rue Saint-Joseph, « c’est sûr que c’est une des plus belles maisons de Baie-Saint-Paul », affirme Michaël Pilote, le maire de la municipalité. Mais l’élu affirme du même souffle n’avoir d’autre choix que de prendre acte de la volonté de démolir qu’a exprimé la propriétaire de cette élégante demeure lourdement endommagée par les inondations du printemps dernier.

Construite dans un style éclectique, avec des corniches moulurées et de vastes galeries, la maison ne manque pas, depuis plus d’un siècle, de frapper l’oeil de quiconque circule dans les environs. Les évaluations patrimoniales de la Ville de Baie-Saint-Paul, tout comme celles de la MRC de Charlevoix et de l’État québécois, estiment cette demeure de niveau « supérieur ». Mais, pour l’instant, la municipalité n’entrevoit pas s’opposer à la demande de la propriétaire des lieux.

« C’est facile de dire qu’on aime le patrimoine quand on ne met pas d’argent là-dedans », lance Johanne Robin, la propriétaire des lieux. « La pire journée de ma vie, c’était lorsque je suis allée demander un permis de démolition pour la maison que j’ai rénové pendant 24 ans ! »

Selon Mme Robin, l’État québécois ne lui laisse pas d’autre choix. « J’ai tout perdu », dit-elle. Les dommages dépassent 400 000 $, selon les évaluations qu’elle a pu obtenir. Dans les circonstances, « pour que j’obtienne une compensation, l’abandon est la seule solution, selon le programme du gouvernement. Sinon, il faudrait que je déménage la maison, ce qui est impossible, ou bien que je l’élève sur des pilotis. J’avais 8 pieds d’eau ! Ça vous donne une idée de l’élévation qu’il faudrait ! »

À sa connaissance, c’est la première fois que cette maison construite avant 1914 était touchée par une telle inondation, due en partie, selon elle, au fait qu’un muret contre les eaux avait été mal entretenu par la municipalité.

Elle exploitait un gîte au 50, rue Saint-Joseph, en plus d’y avoir sa résidence. Dans les circonstances, elle pourrait bénéficier d’une compensation à la fois comme individu et comme entreprise, mais toujours à condition que la maison soit démolie.

Condamnée

 

Joint par Le Devoir, le ministère de la Culture et des Communications confirme en quelque sorte les dires de la propriétaire. En vertu des modalités du régime de gestion des zones inondables en vigueur depuis 2022, la reconstruction de bâtiments dans un secteur comme celui de cette maison « est permise seulement si les dommages causés par les inondations sont de moins de la moitié de sa valeur à neuf ».

Le ministère précise qu’il s’est tout de même laissé une marge de manoeuvre « pour déroger à cette exigence » en ce qui concerne les immeubles patrimoniaux, « moyennant la mise en place de mesures d’immunisation » pour l’avenir. Autrement dit, constate Mme Robin, sa maison est condamnée quoi qu’elle fasse, malgré son importance évidente. « Quand bien même ils me donneraient un million : ça reste une maison en zone inondable ! »

Très émue en entrevue, Mme Robin dit s’être rendue à Québec au mois de juillet pour tenter de convaincre le gouvernement Legault de préserver sa demeure, même si de son côté, épuisée, elle dit ne pas avoir d’autre choix que de jeter l’éponge. « Je n’ai jamais eu de réponse. »

En Beauce, lors d’inondations majeures en 2019, quantité de maisons patrimoniales ont été démolies. Les pressions populaires ont néanmoins permis de sauver un joyau de la région, la maison d’Élyse, à Beauceville, promise au départ à être rayée du paysage, comme les autres.

Un capital touristique

 

Selon Clément Locas, président des Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ), « la municipalité de Baie-Saint-Paul vit du tourisme. Elle devrait penser à conserver ses maisons ». Au-delà de la valeur immédiate de la propriété, une demeure pareille bénéficie à l’ensemble de la communauté, explique-t-il.

Pour M. Locas, il apparaît incompréhensible de laisser disparaître le patrimoine bâti à l’heure des changements climatiques. « La façon de protéger cette maison serait de la citer. […]. Cela laisserait au moins le temps à la municipalité de trouver d’autres solutions que la destruction. » Une fois la demeure disparue, il sera trop tard pour le regretter, croit celui qui a également parcouru Baie-Saint-Paul pour prendre acte des dégâts patrimoniaux.

Mais le maire de Baie-Saint-Paul ne prévoit d’user d’aucun levier collectif pour sauver cette maison. « Comme les dommages causés par l’inondation sur la maison sont de plus de 162 500 $, la propriétaire a le droit de demander sa démolition contre compensation », explique-t-il. « Elle doit céder ensuite le terrain à la Ville. Selon la loi, on doit tenir une audience du comité de démolition », résume Michaël Pilote.

De l’avis du maire, la seule possibilité de préserver cette maison serait qu’un individu s’entende avec sa propriétaire pour racheter sa demeure et la restaurer à ses frais. La Ville n’entend toutefois pas se mêler du dossier.

À Québec, le ministère de la Culture rappelle pour sa part que « la Ville de Baie-Saint-Paul a le pouvoir, en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, de citer la résidence du 50, rue Saint-Joseph, qui possède une valeur patrimoniale significative ».

Peu de bâtiments protégés

 

« Un des charmes notoires de Baie-Saint-Paul est la signature architecturale de son patrimoine bâti », affirme la municipalité sur son site Internet officiel.

Le maire Pilote ne saurait expliquer, dit-il, pourquoi les édifices les plus intéressants de la Ville n’ont jamais bénéficié d’une citation en vertu de la loi québécoise. « Je ne peux pas vous dire pourquoi c’est comme ça, je n’ai pas toujours été là. » Considère-t-il qu’à l’avenir, la municipalité pourrait citer des bâtiments pour leur assurer un supplément de protection ? « Oui », dit-il, sans toutefois donner d’échéancier en ce sens.

En attendant, il admet qu’aucun bâtiment, à l’exception du Domaine Cimon, où se trouve la maison du peintre René Richard, ne jouit d’une reconnaissance particulière en vertu de la loi québécoise. « La municipalité n’a pas cité de bâtiment. On m’a dit qu’il y avait d’autres façons de protéger notre patrimoine », affirme-t-il en entrevue. Lesquelles ? « C’est ce que nous sommes à discuter et à étudier. […] On est à regarder comment mettre à jour notre inventaire patrimonial et à regarder les diverses solutions. Est-ce que citer les bâtiments, c’est la bonne chose ? Au niveau légal, je ne sais pas. »

Il ajoute que « même si le bâtiment avait été cité, ça ne veut pas dire qu’on aurait obtenu assez d’argent en subvention pour le restaurer ».

Selon l’inventaire de la Ville de Baie-Saint-Paul, la demeure du 50, rue Saint-Joseph est l’une des rares maisons de la municipalité dont la « valeur d’architecture » et la « valeur de rareté » sont du plus haut niveau. Ses valeurs d’« authenticité » et de « contexte » sont aussi considérées comme excellentes, ce qui lui donne au final une valeur patrimoniale « supérieure ».

L’inventaire de la MRC de Charlevoix et le Répertoire du patrimoine culturel du Québec font eux aussi mention du haut intérêt de cette maison pour la région.

Des pistes de solution ?

Le maire de Baie-Saint-Paul pense qu’un projet de nouvel inventaire du patrimoine bâti de sa municipalité pourrait apporter des éléments de solution dans l’avenir. 

Le comité qui décidera du sort de la demeure du 50, rue Saint-Joseph est composé du maire et de trois autres élus. Est-ce que ses membres jouissent de compétences particulières en matière de préservation du patrimoine ? « Ils n’ont pas nécessairement de qualifications en matière patrimoniale », juge le maire Pilote, tout en précisant que « c’est toujours comme ça qu’on a fonctionné à Baie-Saint-Paul ».

Les opposants à ce projet de démolition ont jusqu’au 10 septembre pour se manifester auprès de la Ville de Baie-Saint-Paul, selon l’avis publié par le greffier de la municipalité. Le sort du bâtiment sera décidé le soir du 14 septembre, lors d’une réunion du comité de démolition.

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