L’Université de Montréal (UdeM) est « intéressée » par la Place Dupuis, sise au centre-ville de Montréal, où elle envisage de louer pour une décennie des locaux afin d’y accueillir une partie de ses étudiants en médecine, dont le nombre est en hausse. Une perspective accueillie froidement par l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui craint que ce projet ne lui soit « imposé ».
Dans les dernières années, le nombre d’étudiants inscrits au programme de médecine de l’UdeM, installé près du mont Royal, a connu une croissance élevée. Ce sont ainsi 390 étudiants qui y sont attendus en 2024, soit 35 % de plus que les 288 accueillis entre les murs de l’établissement en 2019.
« On a une obligation de trouver des espaces pour offrir des formations aux cohortes qui s’agrandissent déjà », relève ainsi en entrevue le recteur de l’UdeM, Daniel Jutras. Il s’agit d’ailleurs là d’une demande effectuée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), au moment où le gouvernement s’est donné comme cible de former 660 médecins de plus au Québec d’ici 2026.
L’UdeM entend donc louer plus de 5500 mètres carrés de locaux dans un établissement du centre-ville afin d’accueillir une partie de ses étudiants en médecine le plus près possible du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), en complémentarité au site actuel de la faculté, indique M. Jutras.
Course contre la montre
Parmi les sites convoités se trouvent des locaux situés dans la Place Dupuis, un centre commercial qui se trouve juste en face de la place Émilie-Gamelin, à un jet de pierre de l’UQAM, a appris Le Devoir.
« Ces espaces-là sont intéressants pour nous parce qu’ils sont près du CHUM en particulier, mais aussi de l’hôpital Notre-Dame, ce qui permet de rapprocher les étudiants de première et de deuxième année de ces espaces cliniques », explique M. Jutras. Ce dernier confirme ainsi que l’établissement a eu des discussions avec le gestionnaire immobilier Busac, responsable de la Place Dupuis, concernant la possibilité d’y louer des locaux pour réaliser ce projet.
Ces espaces-là sont intéressants pour nous parce qu’ils sont près du CHUM en particulier, mais aussi de l’hôpital Notre-Dame, ce qui permet de rapprocher les étudiants de première et de deuxième année de ces espaces cliniques
Aucune décision officielle n’a toutefois encore été prise, puisque l’UdeM attend l’aval du MSSS et du ministère de l’Enseignement supérieur, qui auront le dernier mot sur le choix du lieu où étudieront certains des futurs étudiants en médecine de l’établissement. Actuellement, « au moins quatre » endroits au centre-ville et dans ses environs sont envisagés pour la concrétisation de ce projet, dont la Place Dupuis, relève M. Jutras. Ce dernier espère d’ailleurs que les discussions avec le gouvernement se concluront rapidement afin que les locaux qui seront choisis puissent être réaménagés et soient prêts à accueillir des étudiants à temps pour la rentrée universitaire de l’automne 2024. « Ça prend plusieurs mois, ces travaux-là, donc on espère une réponse très bientôt », poursuit-il.
« Nous annoncerons nos intentions au moment opportun », indique pour sa part le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, qui ajoute par écrit que les universités « sont à pied d’oeuvre pour adapter leur capacité d’accueil, et nous analysons actuellement les différentes solutions proposées pour y parvenir ».
Daniel Jutras précise pour sa part que si un contrat est signé pour la Place Dupuis, « il est probable que ce soit pour une période de 10 ans ».
Des inquiétudes
Or, la possibilité que l’UdeM aménage une extension de sa faculté de médecine à la Place Dupuis soulève déjà des inquiétudes au sein de l’UQAM, a constaté Le Devoir en contactant plusieurs de ses professeurs. Il faut dire que l’établissement a vu son effectif étudiant diminuer de plus de 11 % depuis 2019, ce qui lui cause d’importants défis financiers. Afin de contribuer à relever ceux-ci, le recteur Stéphane Pallage, en poste depuis un peu plus de six mois, souhaite créer à l’UQAM d’ici deux ans une faculté des sciences de la santé qui comprendra à terme un programme de médecine.
Les professeurs contactés par Le Devoir se demandent donc si l’UdeM, en voulant étendre sa faculté de médecine au centre-ville, ne tente pas de « couper l’herbe sous le pied » de l’UQAM. D’autant plus que Daniel Jutras s’est ouvertement opposé il y a deux mois, dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir, au projet de faculté des sciences de la santé, rappellent-ils.
Le projet de l’UdeM fait toutefois l’objet de discussions avec le gouvernement du Québec depuis « plus de 18 mois », affirme Daniel Jutras. Il ne s’agit donc pas d’une « réponse aux propositions qui ont été faites par l’UQAM pour développer sa propre faculté des sciences de la santé », assure-t-il.
La présidente du Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM, Geneviève Hervieux, déplore pour sa part en entrevue que le gouvernement envisage d’accorder de nouveaux fonds à un projet de l’UdeM après avoir investi massivement dans celui du campus MIL. Il serait temps, selon elle, que des fonds soient plutôt destinés à « redonner à l’UQAM les moyens de fonctionner aussi bien qu’elle a su le faire pour se développer au cours des 50 dernières années ».
« Si on allait à la Place Dupuis, je me poserais des questions sur l’utilisation des fonds publics », lance quant à lui Stéphane Pallage. Il ajoute espérer que si le projet de l’UdeM se concrétise sur ce site, l’UQAM en sera « partie prenante » dans le cadre d’une collaboration entre les deux établissements.
« Je suis très ouvert à la collaboration, mais ne nous imposez pas quelque chose, travaillez avec nous », souligne M. Pallage. « Il faut qu’on travaille à un projet qui nous permettrait d’unir nos forces dans un domaine particulier. Nos chercheurs seraient très intéressés à travailler avec ceux de l’UdeM, et peut-être qu’on pourrait concevoir des programmes d’enseignement ensemble », poursuit-il.
Une demande à laquelle se montre favorable le recteur de l’UdeM. « L’hypothèse [selon laquelle] les universités sont toujours en compétition les unes avec les autres, je pense, n’est plus démontrable dans les faits », conclut Daniel Jutras.