Dans In Between (Hurtubise, 2016) et Les désordres amoureux (2017), ses deux premiers romans, Marie Demers met en scène Ariane et Marianne, deux femmes dans la fin vingtaine qui tournent un peu en rond, répétant inlassablement les mêmes motifs et erreurs, cumulant les échecs amoureux, les ambitions impossibles et les fuites en avant.
Or, après avoir exposé et exploré ses failles à travers ses alter ego, l’autrice a ressenti le besoin d’aller plus loin, d’écrire ce qu’elle n’avait jamais voulu ou osé dire, cherchant ce qui, dans ses blessures d’enfance, les failles de ses parents et son rapport aux hommes et avec l’autorité pouvait expliquer les impasses qui s’amoncelaient dans sa vie, nourrissant une haine de soi doublée d’ardentes pulsions de mort.
Dans Les détournements, né à la suite d’un grave épisode dépressif, l’écrivaine se dévoile donc dans sa vérité la plus tortueuse et tourmentée, s’adonnant à un exercice d’autofiction aussi audacieux que risqué, poussée autant par son instinct que pour sa « passion pour le hara-kiri ».
Ici, Marie Demers revient sur des faits plus ou moins connus (mais rarement glorieux) de sa relation houleuse avec sa mère, l’autrice Dominique Demers, de ses amours toxiques, en passant par ses nombreuses tentatives de suicide, son passage du côté des accusés dans la dernière vague de dénonciations du mouvement #MoiAussi, ainsi que par des détails intimes de sa thérapie.
Le ton est cru, rêche, dénué de toute forme de filtre ou de considération esthétique. La romancière exploite tous les pouvoirs de l’écriture de soi et de la littérature pour trouver sa vérité, s’extirper du statut honni de victime et peut-être même, si possible, entamer une forme de guérison, en dépit des jugements ou de la colère qu’elle pourrait soulever. « Parce que ce sont ces récits qui me gardent en vie, ceux dont je creuse le sens et interroge les acquis. Parce que cette place qui m’est propre et ma vision qui la porte ne peuvent s’encombrer à l’infini de ce qu’en penseront les autres. Ce livre est le mien et c’est de l’écrire pour moi qui assure ma survie. »
Par sa cadence haletante, le roman rend tangible la douleur vive d’une femme dont les jours s’enchaînent en ne laissant que rarement voir l’éclat du ciel, comme une suite de vague déferlant sans pitié, sans possibilité de reprendre son souffle, et ce, jusqu’aux toutes dernières pages.
Désordonné, rempli de détails vains, transpirant l’apitoiement, Les détournements agace autant qu’il fascine. Portée par le rythme désinvolte et vorace de ceux qui ont quelque chose à prouver, cette mise à nue détonne par son absence totale de clichés, par sa colère brandie à bout de bras et par une authenticité déstabilisante qui renvoie le lecteur à ses propres contradictions et autres préjugés internalisés. Un exercice dont le ressac ne devrait pas éclipser le courage.
Marie Demers participera à une table ronde sur « La thérapie par l’écriture », le 22 novembre au SLM, en plus d’offrir des séances de dédicaces les 22, 24 et 25 novembre.