Un fébrile décompte des votes a débuté dimanche soir en Argentine, lors d’une élection présidentielle crispée et indécise comme rarement en 40 ans de démocratie, entre le centriste Sergio Massa et l’ultralibéral et « antisystème » Javier Milei.
C’est finalement Javier Milei qui sera le prochain président de l’Argentine après avoir remporté dimanche le second tour de l’élection présidentielle. Son rival a concédé tôt dimanche soir les résultats du scrutin, reconnaissant sa défaite.
Javier Milei, 53 ans, « est le président que la majorité des Argentins a élu pour les quatre prochaines années », a déclaré Massa, qui était arrivé en tête au premier tour le 22 octobre. Peu avant l’annonce des résultats officiels partiels, il a indiqué, devant ses partisans réunis à son QG de campagne à Buenos Aires, avoir appelé Javier Milei pour « le féliciter et lui souhaiter bonne chance ».
Les bureaux de vote ont fermé à 18 h, avec un taux de participation de 76 %, et les premiers résultats officiels sont attendus vers 21 h, mais une image claire pourrait tarder à émerger en cas d’écart infime.
Selon les résultats partiels officiels, Javier Milei a été déclaré vainqueur avec 55,95 % des voix contre 44,04 % à Sergio Massa.
Soins longue durée ou thérapie de choc pour une crise économique sans fin ? Pour la troisième économie d’Amérique latine, 36 millions d’Argentins étaient appelés à se prononcer entre projets d’avenir on ne peut plus antagoniques.
D’un côté, Sergio Massa, 51 ans, politicien accompli, ministre de l’Économie depuis 16 mois d’un exécutif péroniste (centre gauche) dont il s’est peu à peu distancié. Et qui a promis un « gouvernement d’unité nationale », et un redressement économique graduel, préservant l’État-providence, crucial dans la culture argentine.
Face à lui, Javier Milei, 53 ans, économiste « anarcho-capitaliste » comme il se décrit, polémiste de plateaux TV surgi en politique il y a deux ans. Dégagiste contre la « caste parasite », résolu à « tronçonner » l’« État-ennemi » et à dollariser l’économie. Pour lui, le changement climatique est un « cycle », non la responsabilité de l’homme.
Au milieu ? Des Argentins passés « de crise en crise, et au bord de la crise de nerfs », résume Ana Iparraguirre, politologue au cabinet GBAO Strategies.
Éreintés par des prix qui grimpent de mois en mois, voire de semaine en semaine, quand les salaires décrochent, dont le salaire minimum à 146 000 pesos (400 dollars américains).
Des loyers hors d’atteinte pour beaucoup, et des mères de famille qui recourent au troc, comme après la « Gran crisis » si traumatique de 2001.
68 % des jeunes de 18 à 29 ans émigreraient s’ils le pouvaient, selon une étude de l’Université de Buenos Aires en début d’année.
« Il faut parier ! »
« Je crois qu’aucun des deux candidats ne plaît aux Argentins. Mais il faut voter pour le moins pire », se résignait Maria Paz Ventura, docteure de 26 ans. Beaucoup de gens ont peur de (Milei), mais vu comment on va, un changement ne nous ferait pas de mal. Il faut parier ! « . »
Très émue, Maria Carballo, architecte de 40 ans, disait avoir, en glissant son bulletin « eu envie de pleurer, par peur que gagne Milei. Ses idées m’effraient. J’ai confiance en Massa ».
Les indécis, environ 10 % selon les estimations, détenaient la clef pour départager Massa (37 % au premier tour) et Milei (30 %).
Milei a aimanté un vote « bronca » (colère), mais sa rhétorique, sa volonté d’assécher la dépense publique dans un pays où 51 % des Argentins reçoivent une aide sociale, ou son projet de « déréglementer le marché des armes à feu », ont aussi effrayé.
Aussi, le candidat « antisystème » a baissé le ton entre les deux tours. Moins d’apparitions, moins tranchées, et un message : « Votez sans peur, car la peur paralyse et bénéficie au statu quo ».
« On va prendre des coups »
« Ce qui joue désormais est moins l’adhésion que le rejet » de l’autre, estime Gabriel Vommaro, politologue de l’Université San Martin.
« Ce n’est pas l’amour qui nous unit, mais la peur », image la politologue Belen Amadeo, citant le célèbre écrivain argentin Jorge Luis Borges.
Seule certitude : quel que soit le vainqueur, il y aura « des décisions économiques rapides qui vont faire mal », affirme Ana Iparraguirre.
Le pays est sous la pression des objectifs de rééquilibrage budgétaire du Fonds monétaire international (FMI), auquel l’Argentine rembourse péniblement un prêt colossal de 44 milliards de dollars octroyé en 2018.
« Quoi qu’il arrive, on ne voit pas un bel avenir. On s’attend à prendre des coups », grimaçait Mariano Delfino, 36 ans, après avoir voté « sans conviction ».
Ajoutant à la nervosité ambiante, le camp Milei a distillé ces dernières semaines des insinuations de fraude, sans pour autant qu’une plainte soit déposée.
« Attention aux très mauvais exemples de [Donald] Trump et de [Jair] Bolsonaro » qui ont promu de tels messages, ou « n’ont pas accepté les résultats », a mis en garde Massa.
Milei, accueilli dimanche à son bureau de vote aux cris de « Liberté, liberté ! » a assuré que son camp était « bien, très calme, malgré la campagne de peur » contre lui. Massa pour sa part a appelé les Argentins à voter « dans la réflexion, la sérénité, le calme », et avec « espoir ».