De crainte de voir les ruptures de services se multiplier, Québec se satisfera d’un ratio d’une éducatrice qualifiée sur deux dans les services de garde jusqu’en 2027, a appris Le Devoir. La décision du gouvernement déçoit les cadres comme les syndicats de travailleuses en petite enfance.
Dans le contexte pandémique de 2020, le gouvernement Legault avait réduit ses exigences dans les services de garde en acceptant que le tiers des éducatrices soient qualifiées. En mars 2023, le ratio a été rehaussé à une éducatrice qualifiée sur deux.
Les services de garde devaient retrouver le niveau prépandémique — deux éducatrices qualifiées sur trois — en mars 2024. Or, Québec doit publier mercredi un projet de règlement dans la Gazette officielle afin que le niveau actuel (1/2) soit maintenu jusqu’au 31 mars 2027.
Dans une déclaration transmise au Devoir mardi, la ministre de la Famille, Suzanne Roy, a dit prolonger le ratio en vigueur parce que « c’est la chose à faire pour éviter les bris de services pour les parents, tout en continuant de créer rapidement des places subventionnées pour les familles en attente ».
Le cabinet de la ministre reconnaît que l’augmentation intensive de places exerce une pression sur les services de garde. Il précise aussi que l’ensemble du personnel — qu’il soit qualifié ou non — est soumis à une vérification des antécédents judiciaires et doit avoir suivi une formation en secourisme.
Du nivelage par le bas
La décision de Québec a été accueillie avec déception dans le réseau des services de garde. « C’est l’Halloween aujourd’hui et je vous dirais : ça fait peur », a réagi mardi la directrice générale de l’Association des cadres des centres de la petite enfance, Élyse Lebeau. « Pour offrir des services de haut niveau, ça prend des éducatrices formées. »
Dans un contexte de pénurie de personnel, « les éducatrices qui ne sont pas formées, elles ne sont pas plus au rendez-vous », a-t-elle aussi souligné. Mme Lebeau a indiqué que l’arrivée d’éducatrices non qualifiées exerce une pression sur les cadres, qui doivent offrir plus d’accompagnement à ces employées.
« Quand on permet d’avoir de tels ratios, les éducateurs qui ont leur DEC [diplôme d’études collégiales] doivent passer leur temps à s’occuper non seulement des enfants, mais aussi du personnel non qualifié », a aussi déclaré le directeur général de l’Association québécoise des CPE, Sandro Di Cori. Il a dit trouver « ironique » le fait que cette décision ait été prise juste après la Semaine nationale des éducatrices de la petite enfance.
« C’est niveler par le bas, selon moi », a également affirmé au Devoir la représentante du secteur des CPE à la Fédération de la santé et des services sociaux, Stéphanie Vachon. « Le réseau des CPE a fait ses preuves au niveau de la qualité et il faut maintenir cet objectif de qualité là. Il faut tout faire pour y arriver, quitte à ce qu’il y ait des bris de services », a-t-elle ajouté.
La présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec, Valérie Grenon, a dit comprendre pourquoi le gouvernement prenait cette décision, en précisant néanmoins qu’il ne s’agit « pas d’une bonne nouvelle ». « Il faut trouver la solution au problème. Ce n’est pas normal qu’on ne soit pas capables d’attirer de la relève », a-t-elle déploré.
Une sur trois le matin et le soir
Dans son projet de règlement, le gouvernement introduit aussi une nouveauté. Lors de la première et de la dernière heure d’ouverture d’un service de garde, seul le tiers des éducatrices devront être qualifiées.
Fait à noter : depuis juin 2021, il n’est plus nécessaire de détenir un DEC en éducation à l’enfance pour être considérée « qualifié » par Québec. Certains crédits universitaires peuvent, par exemple, mener à une qualification à titre de « remplaçante temporairement qualifiée ».
Pour contrer les effets de la pénurie de main-d’oeuvre, le gouvernement a lancé en janvier 2022 une offensive pour requalifier ou recruter 25 000 éducatrices à la petite enfance d’ici 2026. Mardi, le cabinet Roy n’a pas été en mesure de fournir un bilan clair de cette offensive au Devoir. L’entourage de la ministre a cependant affirmé que le taux de postes vacants dans le réseau avait diminué, passant de 8,3 % en 2021-2022 à 7 % l’année suivante. Depuis deux ans, le réseau embauche plus de travailleuses qu’il n’en perd, a-t-il aussi souligné.
Le Service régional d’admission du Montréal métropolitain (SRAM) constate également une hausse des admissions au DEC. Il y a eu 978 offres d’admission en 2023, un nombre inégalé depuis 2019. Les statistiques du SRAM ne permettent cependant pas « de faire un portrait de la situation pour ce domaine d’activité », puisqu’« un grand nombre de personnes choisissent plutôt des programmes de courte durée (AEC) à la formation continue », a précisé la directrice des communications, Geneviève Lapointe.