Polar nostalgique
Il y a quelque chose d’éminemment nostalgique et, surtout, d’émouvant dans Welsford, premier roman du dramaturge et cinéaste franco-ontarien Claude Guilmain. La précision géographique avec laquelle il raconte le quartier dans lequel il a vécu son adolescence s’accompagne en effet d’une justesse émotive qui touchera quiconque a quitté l’enfance au tournant des années 1960. L’état d’esprit, les amitiés, les rivalités, l’humour potache, la bravoure de façade, les questionnements : tout est là. Avec, en prime, un meurtre. Puisque des ossements humains sont retrouvés sous la piscine d’une maison de Don Mills, en banlieue de Toronto. L’enquête est confiée à l’inspecteur-chef Frank Duchesne car, à 15 ans, il vivait dans le quartier et a vu ladite piscine être installée. Se souvient-il de quelque chose ? Oui. Mais à 50 ans de distance, les souvenirs sont vagues. Entre hier et aujourd’hui, le lecteur les revisite avec lui, fait une plongée dans un microcosme où se côtoyaient « Anglos et Francos » à armes inégales, et sera pris dans un engrenage fascinant.
Sonia Sarfati
Welsford
★★★ 1/2
Claude Guilmain, Prise de parole, Sudbury, 2023, 274 pages
Un phare dans la nuit scandinave
Il y a, dans l’écriture de Katrine Engberg, un petit côté « Miss Marple » qui apporte un mince rayon de soleil sur la noirceur « scandinavement vôtre » de ses polars. Un clin d’oeil qui peut toutefois déstabiliser qui découvrirait son univers avec ce troisième titre, Le passé doit mourir. Car si l’inspecteur Jeppe Kørner et sa coéquipière, Anette Werner, sont des personnages plutôt classiques (quoique particulièrement attachants), ils sont parfois « assistés », à dose homéopathique mais quand même, par une professeure de littérature à la retraite qui ne déparerait pas à St. Mary Mead. Cette fois, le tandem enquête sur la disparition du fils adolescent d’un couple qui dirige une maison réputée de ventes aux enchères d’oeuvres d’art. Le garçon a-t-il fugué ? A-t-il été enlevé ? Difficile de voir clair dans cet entrelacs de mensonges et de secrets… jusqu’à ce que s’amorce un compte à rebours implacable, dans une atmosphère aussi lourde que claustrophobique. Avec, à l’horizon, un phare isolé et son gardien énigmatique.
Sonia Sarfati
Le passé doit mourir
★★★ 1/2
Katrine Engberg, traduit par Catherine Renaud, Fleuve noir, Paris, 2023, 395 pages
Le zombi et le marionnettiste
Parue en italien en 2015, cette histoire sombre précède les deux romans de l’auteur déjà publiés en français (L’île des âmes,L’illusion du mal). Le seul lien entre les trois livres tient à la présence du commissaire Vito Strega, qui est encongé officiel au moment où débute ce récit lugubre. Strega vient d’être suspendu après avoir accidentellement abattu son partenaire lors d’une intervention et il doit voir une psychologue avant de réintégrer ses fonctions. Sauf qu’au commissariat, personne n’arrive à composer avec l’horreur d’une série de crimes sanglants commis par des enfants de 13 à 15 ans ; l’assistante du commissaire, Teresa, le prie d’intervenir et, même profondément « sonné », Strega mènera discrètement l’enquête en touche. C’est une affaire horrible, on l’a dit, mais le livre porte d’abord sur Vito Strega, qui se sortira d’une spirale infernale en trouvant celui qui manipule ces jeunes assassins. L’écriture est alerte, introspective, mais moins séduisante que dans les livres précédents.
Michel Bélair
Le chant des innocents
★★★
Piergiorgio Pulixi, traduit par Anatole Pons-Reumaux, Gallmeister, Paris, 2023, 327 pages
Tous embobinés !
Branle-bas de combat à Vigata ! Une équipe italo-suédoise a envahi la ville pour tourner une « fique-chionne » se déroulant en 1950. Le commissaire Montalbano supporte mal de voir sa ville « dénaturée » et accorde plutôt son attention à une énigme qu’on lui a soumise : une série de six bobines Super8 retrouvées dans un grenier et montrant un mur, toujours le même, durant une dizaine de minutes. Les films datant des années 1950 ont été tournés, un par année, le même jour, sur une période de six ans ; rien n’y bouge. Mais pendant qu’il se triture les méninges, deux hommes armés s’introduisent dans une école de la ville et des coups de feu sont échangés ; Montalbano change rapidement de priorité. Sauf qu’en fouillant les deux affaires, le commissaire découvre qu’un peu tout le monde s’est laissé embobiné… Cette fresque portée par des personnages d’une touchante humanité est d’une drôlerie et d’une intelligence absolument irrésistibles. On s’y attache d’autant plus que, devenu aveugle, Andrea Camilleri l’a dictée à son assistante Valentina Alferej.
Michel Bélair
Le filet de protection
★★★ 1/2
Andrea Camilleri, traduit par Serge Quadruppani, Fleuve Noir, Paris, 2023, 284 pages