C’est une immense équipe venue d’un petit bout de terre à l’autre bout du monde, et l’assurance d’un très grand match de rugby. La Nouvelle-Zélande, triple championne du monde et indémodable emblème de ce sport, est un adversaire de rêve pour démarrer la vertigineuse quête d’une Coupe du monde à la maison. Le XV de France s’y prépare depuis maintenant 924 jours, comme cela doit être inscrit quelque part sur la flèche du temps de Fabien Galthié, et dans son sillage tout un écosystème. Ce vendredi matin marque l’aube du rendez-vous d’une vie pour le rugby français.
Disons-le, il y a des risques à devoir grimper d’emblée à si haute altitude, sans palier d’acclimatation. Le manque d’oxygène, par exemple, les jambes qui se dérobent au moment même où les choses deviennent enfin concrètes. Mais l’opportunité d’une telle affiche était trop belle, à la suite du tirage au sort, pour que les organisateurs ne sautent pas dessus. « On n’était pas obligé, mais très vite il y a eu un consensus entre toutes les parties prenantes, retrace le patron de France 2023, Jacques Rivoal. Ce match pourrait être une finale. C’est fantastique de pouvoir lancer la compétition comme ça. »
Les All Blacks face au pays organisateur qui déboule dans la forme de sa vie, pas besoin en effet d’en dire beaucoup plus pour vendre sa compétition. Jamais match d’ouverture d’un Mondial n’avait fait l’objet de tant de demandes d’accréditations, 2.000 journalistes réclamant une des 600 places disponibles pour les médias au Stade de France. La cérémonie de lancement est annoncée grandiose, avec passage de la Patrouille de France, Jean Dujardin en maître des lieux, un hommage aux territoires « qui font le rugby français » et d’autres surprises gardées secrètes.
Les leçons de 2007
Les joueurs, eux, ont été mis dans la confidence. Un des mille détails soigneusement pensés par le staff pour ne pas se laisser happer par l’événement et ne pas revivre le calvaire de 2007, quand les Bleus s’étaient liquéfiés face à l’Argentine (défaite 12-17) au Stade de France en ouverture d’une Coupe du monde co-organisée avec l’Ecosse et le Pays de Galles.
« On est au courant de pas mal de choses, et on a travaillé notre échauffement, qui sera raccourci, rapporte Grégory Alldritt. Ce qui va se passer vendredi, on en parle entre nous, ça ne sert à rien de se cacher, se mentir. Il y aura de la pression mais on s’est bien préparé pour pouvoir se libérer le jour-J. » Reste tout de même à bien gérer cette interminable attente depuis le lever jusqu’au coup d’envoi (très) tardif, fixé à 21h15. Chacun son truc pour passer le temps sans faire les cent pas dans le hall d’hôtel. « Certains vont jouer aux cartes, d’autres marcher un peu. Moi, j’aime bien écrire », confie Thibaud Flament.
Le trajet jusqu’au stade et l’arrivée probablement escortée de milliers de supporters ont également été anticipés. Pendant les deux mois de préparation, les Bleus ont multiplié les bains de foule et même séjourné en camping, à Seignosse (Landes). « On a vu beaucoup d’enfants, de jeunes, de familles, qui nous demandaient des photos ou avaient un petit mot gentil, rappelle Alldritt. On n’a pas attendu vendredi pour se rendre compte de la ferveur. » « Ce sont des gars simples, proches des gens, on les voit à l’extérieur comme ils sont vraiment, appuie le co-entraîneur Karim Ghezal. On a fait attention à ne pas les couper du monde. »
Quelques visages connus sont également venus passer une tête à l’entraînement : Didier Deschamps, dont la parole n’est pas la plus inutile quand on ambitionne de gagner un Mondial à domicile, et bien sûr Emmanuel Macron, cette semaine à Rueil. Le président de la République n’a pas eu besoin de rappeler l’objectif final, ce trophée qui échappe à la France depuis toujours malgré trois finales disputées (1987, 1999, 2011), pour graver la solennité du moment. « Vous êtes l’équipe la mieux préparée. Vous serez des frères d’armes qui se battront jusqu’à la dernière seconde, a-t-il proclamé. L’équipe est plus grande, la nation est plus grande que chacun d’entre vous. Rendez-nous fiers et heureux. »
Le moment pour le rugby de conquérir de nouveaux territoires
Voici donc les Bleus « investis d’une mission », en est conscient leur capitaine Antoine Dupont. « Ils savent qu’ils ont la capacité de donner le sourire à ce pays », assure le président de la Fédération française (FFR), Florian Grill, pas le moins enthousiaste du lot à l’approche du coup d’envoi. La compétition, héritée du mandat de Bernard Laporte, est une bénédiction pour celui qui était encore chef de file de l’opposition début juin. La fête doit être belle pour que les retombées économiques et en termes d’image transpirent jusqu’à la base.
« On dit que l’équipe de France fait nation. J’attends de cette Coupe du monde qu’elle soit l’occasion de montrer à quel point les clubs y participent aussi, projette Grill. Localement, ils créent un lien extraordinaire. La société s’est longtemps organisée autour des clochers, aujourd’hui c’est autour de la vie associative et les clubs de rugby sont des endroits où il fait bon vivre. » Deuxième sport du pays niveau médiatisation mais seulement 10e par son nombre de licenciés (un peu plus de 300.000), le rugby joue gros pour séduire de nouveaux adeptes qui lui permettraient de sortir de l’entre-soi cultivé parfois sans même s’en rendre compte.
Ce match entre la France et la Nouvelle-Zélande est un peu tout ça à la fois. L’enjeu sportif est incertain, puisque c’est de toute façon du très lourd qui attendra les Bleus en quarts de finale (Irlande ou Afrique du Sud si la logique est respectée), mais il y a ce souffle, cet élan, qu’il convient de chérir en démarrant par un succès. Pour se convaincre que tout va bien se passer, on terminera sur cette profession de foi de Fabien Galthié : « On ne porte pas de poids, on est très légers, heureux de disputer ce match. On veut juste jouer, se faire plaisir et s’aimer très fort. »