Orgue, ambitions et réalités | Le Devoir

L’OSM a organisé une fin de semaine autour des 10 ans du Grand Orgue Pierre-Béique, dont le temps fort était la soirée d’improvisation sur des films muets de la nouvelle vedette de l’orgue, le Français Thomas Ospital. On aurait aimé qu’un si grand talent soit mis à profit d’un projet encore plus ambitieux.

Le grand ordonnateur des festivités et organiste en résidence de l’OSM, Jean-Willy Kunz, a eu beaucoup de bons mots, dans les colonnes du Devoir samedi, sur le parcours artistique accompli avec le Grand Orgue Pierre-Béique en 10 ans et sur la fin de semaine de festivités marquant cet anniversaire.

On ne saurait reprocher à Jean-Willy Kunz de prêcher pour sa paroisse. Il est aussi possible d’avoir un regard certes optimiste, mais un peu plus mesuré, sur l’apport de l’orgue dans la programmation globale de l’OSM, qui « occupe » l’orgue, mais ne l’a pas amené à apporter une vraie touche d’originalité aux programmes d’orchestre.

Lors d’une entrevue au Devoir intitulée « L’orgue se rebâtit un répertoire » en 2020, Olivier Latry, organiste émérite, avait qualifié le 3e Concerto pour orgue de Thierry Escaich, récemment créé, d’équivalent du 3e Concerto de Rachmaninov dans son répertoire. Nous espérons la découvrir, et c’est le genre de volonté de creusement d’un répertoire particulier orgue-orchestre, au-delà d’un minimum vital, qu’on attend de voir se développer davantage.

Exercice fascinant

Quant au compositeur et organiste Thierry Escaish, il était venu en 2016, puis en 2018 pour une renversante expérience d’improvisation sur Nosferatu le vampire. Nous ne l’avons pas revu depuis. Pandémie ou pas, six ans, c’est long. À entendre Jean-Willy Kunz nous parler des talents d’improvisateur de Thomas Ospital, 34 ans, déjà une des grandes vedettes de l’orgue mondial on pouvait s’attendre à un alter ego d’Escaish.

Ospital est très malin et inventif, et utilise sur le fond les mêmes principes, notamment sur la construction dramatique d’une séquence ou d’une scène au long cours au détriment d’un événement ponctuel. La conscience de « où cette scène va nous mener » est le fondement de l’art de Thomas Ospital comme des meilleurs artisans de cet exercice fascinant de l’art musical et créatif. Ospital part d’une cellule, qu’il développe en volume, en rythmes et en couleurs par la registration, et il le fait brillamment.

Un exercice parfait pour cette discipline est Neighbours, de Norman McLaren. Oscar du court métrage en 1952, cette parodie caustique sur la guerre froide menée crescendo est d’une très saisissante actualité. Son emballement a été parfaitement géré par l’organiste, qui avait impeccablement synchronisé la Danse macabre de Saint-Saëns sur Spook Sport du même cinéaste. Des deux nouveaux courts métrages, suscités par la collaboration avec Kino Montréal, c’est Le chanteur, de David Couture, qui a le plus inspiré l’organiste, film malin, joli hommage au cinéma muet où un chanteur rêve de devenir chanteur de charme.

Dans The Immigrant de Chaplin, Ospital débute sur un décalque du Sacre du printemps, puisque nous avons un bateau d’exilés russes. La musique de la 2e partie se fonde largement sur des variations sur l’hymne américain. Les choses sont habilement dosées et mêlées.

Mais la question est ici aussi celle de l’autosatisfaction de l’organisation face à la modestie des choses. Tant qu’à faire venir Thomas Ospital et à fêter les dix ans de l’orgue, faut-il faire d’un moyen métrage de Chaplin de 25 minutes tourné en 1917 un événement anniversaire ? N’y a-t-il vraiment pas un projet plus ambitieux à développer ?

Le catalogue du muet est si riche de chefs-d’oeuvre, dont de nombreux ont été récemment restaurés. Et Docteur Mabuse, et Aurore (de Murnau) et les muets de Lubitsch, ou même, sujet amusant, Les contes d’Hoffmann de Max Neufeld (1923, restauré en 4K) ou les Carmen muets ? On ne demande pas de se plonger dans les Nibelungen de Fritz Lang, film-fleuve en deux parties de plus de 2 heures chacune. Mais tout cela n’est pas à la hauteur des prétentions.

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