La hausse constante du nombre d’immigrants temporaires force Ottawa et Québec à plafonner leurs seuils d’immigration pour les prochaines années. C’est ce qu’ont annoncé les deux ordres de gouvernement mercredi.
En plus du nombre record d’immigrants temporaires, la situation « volatile » du français contraint le gouvernement du Québec à limiter sa planification de l’immigration aux deux prochaines années. D’ici 2025, il choisit de maintenir ses seuils « réguliers » à 50 000 nouveaux arrivants par année, mais exclut les « diplômés » du Programme de l’expérience québécoise de son calcul.
Le premier ministre québécois, François Legault, et sa ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, ont présenté en conférence de presse le plan gouvernemental en matière d’immigration pour la période 2024-2025. Contrairement à ce qui était prévu, le document, qui est le fruit de consultations menées en septembre à l’Assemblée nationale, ne contient pas de cibles pour 2026 et 2027.
« On va, pendant deux ans, regarder l’impact [de nos mesures]. En fonction de ces résultats-là, on prendra des décisions pour les années suivantes », a expliqué M. Legault. « La situation est volatile, a ajouté Mme Fréchette. On voit le nombre de résidents non permanents monter encore et encore. »
Même approche du côté d’Ottawa, qui a aussi annoncé un plafonnement de ses cibles d’immigration pour 2026. Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, a confirmé que le Canada accueillerait 500 000 nouveaux résidents permanents en 2026, soit la même cible que l’année précédente.
Il s’agit d’une première pause dans la tendance à la hausse des objectifs d’immigration des dernières années. Les cibles du gouvernement canadien annoncées l’an dernier prévoyaient l’accueil de 465 000 résidents permanents cette année, 485 000 en 2024 et 500 000 en 2025.
« En stabilisant le nombre de nouveaux arrivants, nous reconnaissons que le logement, la planification des infrastructures et la croissance durable de la population doivent être correctement pris en compte », a déclaré le ministre Miller lors de son annonce.
Le gouvernement canadien vise également une immigration francophone hors Québec de 6 % en 2024, 7 % en 2025 et 8 % en 2026 — des cibles beaucoup plus modestes que ce que plusieurs organisations réclament.
Le statu quo semblait se dessiner depuis quelques jours à Ottawa. Mardi, le ministre Miller affirmait déjà qu’il ne « voyait pas un scénario où on diminuerait les niveaux [d’immigration] » et que « le mot d’ordre, c’est une certaine stabilisation ».
Le français sous la loupe
Pour deux ans, et pour agir dans le dossier « déterminant » de la protection du français, le gouvernement Legault maintiendra pour sa part ses cibles « régulières » d’immigration permanente aux niveaux actuels. « C’est important, pour nous, pour arrêter, pour inverser le déclin du français, de se limiter à 50 000 », a dit le premier ministre mercredi.
C’est important, pour nous, pour arrêter, pour inverser le déclin du français, de se limiter à 50 000
À ce seuil de base s’ajoutera toutefois une dizaine de milliers d’immigrants non comptabilisés dans les seuils de Québec. En mai, la ministre de l’Immigration avait proposé que les immigrants issus du volet « diplômés du Québec » du Programme de l’expérience québécoise soient exclus du calcul des cibles. Elle ira de l’avant avec cette mesure. Selon les estimations du ministère, ces nouveaux arrivants seront environ 6500 en 2024. Un arriéré de 6600 personnes du milieu des affaires doit également être « écoulé » l’an prochain, ce qui porterait le nombre d’immigrants permanents à quelque 63 000 en 2024.
M. Legault assure que la montée en force dans les sondages du Parti québécois — qui propose une baisse des seuils — n’explique pas sa décision de maintenir la cible migratoire de base à 50 000 nouveaux arrivants. Le gouvernement a aussi dû prendre en compte la capacité d’accueil du Québec, a précisé Mme Fréchette.
Comme il l’avait laissé entendre au printemps, Québec soumettra les immigrants issus du Programme des travailleurs étrangers temporaires, à l’exception des travailleurs agricoles, à des exigences en français. Au renouvellement de leur permis de travail, ils devront démontrer une maîtrise du français de niveau quatre, c’est-à-dire être capables de « discuter avec leur entourage » de « sujets familiers », a précisé la ministre Fréchette.
Cette « avancée historique » n’est qu’une première étape, a assuré l’élue de la Coalition avenir Québec (CAQ). « Autour de 35 000 » résidents non permanents seront soumis à cette mesure, soit moins de 8 % des 470 000 temporaires recensés au Québec en juillet.
Le gouvernement Legault souhaite donc convaincre Ottawa d’exiger les mêmes connaissances aux immigrants de son Programme de mobilité internationale — ils sont 119 000 au Québec.
Dialogue vague avec Québec
La ministre Fréchette s’attendait à une réduction des cibles fédérales d’immigration. En conférence de presse, mercredi, elle a reproché à Ottawa de ne pas avoir considéré « la situation qui prévaut au Québec » en fixant ses propres seuils.
« Au niveau politique, il n’y a pas eu de consultation. Et, normalement, le gouvernement fédéral doit tenir compte des cibles d’immigration du Québec avant de s’avancer sur ses propres cibles », a-t-elle relevé.
Questionné à ce sujet, le ministre Miller a affirmé avoir parlé à deux reprises avec Mme Fréchette à propos de l’accueil des réfugiés, des travailleurs étrangers temporaires et des étudiants étrangers. « Oui, j’ai aussi parlé de nos attentes pour l’accueil des familles. […] Est-ce que je dis [la cible de] 500 000 à tout le monde ? Non, ce serait violer le privilège du Parlement », s’est-il défendu.
« Est-ce que c’était à la hauteur [des] attentes [de Québec] ? Je ne peux pas y répondre. On s’était parlé sachant la position publique de la CAQ sur les cibles du Canada », a-t-il ajouté.
En vertu de l’accord Canada-Québec, le Québec fixe ses propres niveaux d’immigration. Le printemps dernier, Christine Fréchette avait annoncé qu’elle mettrait deux scénarios à l’étude. L’un d’eux, qui augmenterait la cible en 2027 à 60 000 immigrants, rompt avec l’affirmation faite par François Legault durant la campagne électorale selon laquelle rehausser les seuils serait « un peu suicidaire » pour le statut du français au Québec. Le second scénario vise un maintien du statu quo à 50 000 immigrants permanents par année.
Toutefois, pour le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, les cibles annoncées mercredi ne peuvent pas être finales.
Mardi, M. Blanchet a notamment mis en avant une motion demandant au gouvernement « de revoir ses cibles d’immigration dès 2024 après consultation du Québec, des provinces et des territoires en fonction de leur capacité d’accueil, notamment en matière de logement, de soins de santé, d’éducation, de francisation et d’infrastructures de transport, le tout dans l’objectif d’une immigration réussie ».
La motion a été adoptée à l’unanimité à la Chambre mercredi, juste avant l’annonce du ministre Miller.
« [Le gouvernement] a voté pour [la motion], donc il est d’accord avec moi. […] Ses cibles actuelles ne peuvent pas être finales et permanentes, c’est lui qui l’a dit ! » s’est exclamé M. Blanchet.