Tout bon économiste vous le dira : l’économie est absolument partout. Même dans la mort ? Difficile d’y échapper, fut-ce six pieds sous terre. Pour celle et ceux qui restent, c’est le temps des obsèques, du testament, de la gestion de l’héritage…
Si la mort a donc un coût, est-elle pour autant un business comme un autre ? L’idée peut sembler provocatrice, et pourtant… Comme on l’a dit, la mort a un coût financier ; c’est donc bien que des gens sont vendeurs. A l’occasion de la Toussaint, 20 Minutes a posé plutôt frontalement la question à Sarah Dumont, fondatrice de Happy End, plateforme en ligne qui accompagne le deuil, en proposant notamment une mise en relation avec différents experts (psys, obsèques…) ou en donnant des conseils pratiques.
La mort est-elle un business comme un autre ?
Je dirais que oui, même si « faire de l’argent » sur la mort est mal vue. Les entreprises de pompes funèbres sont les premières à en faire les frais. Elles sont souvent accusées d’être des pompes à fric et de prendre l’argent des endeuillés, alors qu’elles réalisent une mission de service public et jouent un rôle fondamental. Les obsèques sont la première pierre dans le chemin du deuil. Quand elles sont bien accompagnées et bien vécues par les proches, cela les aide beaucoup pour la suite, et cela a de la valeur.
Il y a un déni vis-à-vis de la mort dans notre société. Les Français qui ont été pris en charge toute leur vie par l’Etat, de la naissance à l’école jusqu’à la maladie, ont du mal à comprendre que ce dernier n’intervienne plus au moment du deuil et de la mort d’un proche, soit un moment très douloureux. Cette non-intervention étatique est parfois vécue comme une injustice. Pourtant, une naissance coûte en moyenne 7000 € à une famille contre 3000 € pour des funérailles. Pour reprendre l’exemple des pompes funèbres, elles ont bien meilleure presse dans les pays anglo-saxons, où l’Etat intervient moins de manière générale.
Au-delà de la question morale, peut-on vraiment avoir une offre sur la mort comme on vend des voitures ?
Quand on achète une voiture, on va comparer les prix, les concessionnaires, demander l’avis de ses amis… Face à la mort, on est souvent pris de court. Déjà, on ne sait rien sur ce sujet car on ne s’y intéresse pas tant qu’on n’y est pas confronté. Deuxièmement, le choc et la peine s’ajoutent à la lourdeur et au stress liés aux nombreuses démarches à effectuer suite à la perte d’un proche. Enfin, on ne dispose que de six jours ouvrés après le décès pour organiser les obsèques. D’où l’importance de laisser des instructions sur ses volontés à ceux qui restent pour apaiser un tant soit peu cette étape de vie. Ce n’est pas tant qu’on ne vend pas la mort comme on vend une voiture, c’est surtout qu’on n’achète pas la mort comme on achète une voiture.
Je pense qu’il faut arrêter d’avoir aussi peur de la mort et prendre soin de ceux qui vont la vivre. »
Et d’ailleurs, comment décide-t-on de se lancer dans un travail autour de la mort ?
En constatant cette impréparation et la méconnaissance du grand public sur ce sujet, justement. Et en se disant qu’il faut venir combler ce manque, avec de l’information. Impréparés et dépassés dans leur deuil, les Français subissent les obsèques de leur proche plus qu’ils ne les choisissent. Ils ne sont pas libres de leur choix, et je voulais leur offrir ce choix.
L’idée m’est venue suite aux obsèques de mon père. Sa cérémonie a lieu dans une salle de concert à Paris, son cercueil était sur une estrade et chaque hommage applaudi par l’assemblée. Cela a permis de vivre les choses avec une énergie différente, de se sentir plus libre. En s’affranchissant de ce que traditionnellement on propose pour les enterrements, nous avons eu le sentiment de lui rendre un hommage conforme à qui il était. Les mois qui ont suivi, beaucoup de personnes présentes m’ont confié qu’elles ne savaient pas qu’on pouvait initier ce genre de cérémonie. Pourtant, organiser des obsèques à l’image du défunt est très important pour une majorité de Français. Un tiers d’entre eux opte pour une cérémonie civile plutôt que religieuse, sans savoir tout ce à quoi ils ont le droit comme option.’
Jai envie de demander aux gens : ”Est-ce que tu as oublié que tes proches et toi alliez mourir ?”. »
Justement, n’est-ce pas difficile d’être sans cesse confrontée à des gens endeuillés ?
Ça fait partie de la mission. Il faut être à l’aise avec la mort et l’idée de la souffrance pour accueillir la parole de ces personnes, mais c’est tellement important pour moi de les aider que ça ne me dérange pas. Il faut arrêter d’avoir aussi peur de la mort et prendre soin de ceux qui vont la vivre.
Vos proches comprennent-ils quand vous parlez de votre activité ?
Depuis 2018, date du lancement de Happy End, mes proches ont fini par s’habituer et ont compris que ce n’était pas une simple lubie. Mais à l’évocation de mon activité, il est vrai que j’ai toujours des réactions : « Holala, ça doit être dur », « Pourquoi tu fais ça ? »… Cela suscite encore de d’étonnement, quand ce n’est pas un petit mouvement physique de recul…
J’avoue que je m’étonne toujours de ces remarques. Je ne comprends pas qu’on puisse ne pas se considérer comme mortel, c’est un sujet tellement important. J’ai à chaque fois envie de leur demander : « Est-ce que tu as oublié que tes proches et toi alliez mourir ? ». Si la mort n’a jamais été aussi présente à la télévision, dans les séries et les jeux vidéos, elle est devenue une étrangère et ne fait plus partie de notre monde intime ; 80 % des Français décèdent à l’hôpital, loin de la maison. On l’a, petit à petit, déléguée au monde médical et funéraire.
Justement, comment fait-on la publicité de son activité quand la mort est un tabou sociétal aussi fort ?
En en parlant avec un ton lumineux, positif et cash. Il ne faut pas avoir peur d’évoquer le sujet frontalement, et ne pas prendre des chemins détournés. C’est notamment ce que fait Happy End l’Asso avec les « apéros de la mort ».
Bien sûr, ça choque certaines personnes, mais d’autres se retrouvent dans ce ton qui n’est pas plombant, pas conventionnel, qui aborde le sujet avec plus de simplicité. Il y en a beaucoup qui se disent : « je veux que le jour de la mort, on célèbre ma vie ».