L’inscription du Bureau de l’APA à la marquise du Trident constitue un premier étonnement : un geste signature, en quelque sorte, d’Olivier Arteau, qui offrait cette année sa première saison à titre de directeur artistique. C’est lui qui a approché le Bureau, cet « atelier de bricolage indiscipliné d’arts vivants », qui roule sa bosse depuis une vingtaine d’années, toujours à l’abri des principales institutions.
« Olivier a été un génie. Il a eu beaucoup d’audace », dit d’emblée Laurence Brunelle-Côté, codirectrice artistique du Bureau de l’APA. Pompières et pyromanes, recueil environnementaliste et féministe de Martine Delvaux autour de la figure du feu, s’avère particulièrement en phase avec les préoccupations du collectif, audibles dans son dernier spectacle : la « conférence-démonstration » Le show sur l’effondrement qui n’aura pas lieu, en mars dernier à la Charpente des fauves.
« Le grand plateau appartient à tout le monde », précise Arteau, qui reconnaît le caractère téméraire de cette pièce « essai », un collage sans personnages ni récit, qui souligne, dans un même geste, son souhait que Martine Delvaux soit servie par « des artistes qui lui ressemblent » en même temps que la nécessité de promouvoir « des codes théâtraux qui fluctuent, qui nous déstabilisent, même si c’est un théâtre national ».
Voilà donc pour une certaine vision qu’il espère apporter à la barre du Trident, lui qui souhaite offrir au public de l’institution, par-delà le repas principal, le service complet — de l’entrée au dessert. « Pour moi, l’APA, c’est un trou normand dans la saison. C’est dire : “Ouf, il faut que je change mes habitudes. Il faut que je modifie mon palais et mes papilles pour mieux amorcer la suite.” »
Le théâtre bricolé
Sur scène, le spectacle collera de près aux mots préoccupés et combatifs de l’essayiste, dans un vaste atelier ébauché autour d’une oeuvre du collectif BGL (La source, 2004) que l’artiste Jasmin Bilodeau a adaptée pour la scène : un bric-à-brac où des jeunes chercheront à se créer une maison faite de matériaux qu’on brûle.
La rencontre autour de projets artistiques atypiques constituant un modus operandi du collectif, c’est un bric-à-brac qui a rassemblé des créateurs de tous les horizons, sans appui dans une fiction, sans jeu : les compères de l’APA Danya Ortman et Pascal Robitaille, une interprète pour offrir une traduction en langage des signes en direct ou encore Éléonore Delvaux-Beaudoin, fille de l’autrice, à qui Pompières et pyromanes est adressé.
« On va vers les gens et on les invite à travailler avec nous parce qu’on aime ce qu’ils font ; quelque chose nous surprend, et ça devient comme des morceaux de casse-tête dans un bricolage », explique Julie Cloutier Delorme, laquelle a rejoint Le bureau de l’APA il y a une quinzaine d’années, fascinée par le lâcher-prise qu’imprimaient les représentations « indisciplinées » du collectif. « Chaque personne va capter [les choses] à sa façon, et c’est la bonne. Le bureau de l’APA m’a montré cette façon-là de recevoir une prestation autrement. »
« L’idée qu’il n’y ait pas de mensonge sur scène a quelque chose d’absolument charmant, de reprendre Arteau. On ne se fera pas de cachoteries : il est déstabilisant d’assister à ça dans le cadre de la salle Octave-Crémazie au Trident. »
Ce côté bricolé, notamment, pourrait déstabiliser nos habitudes, nos codes, nos réflexes. « Moi, c’est sûr que c’est ce qui m’excite le plus — mais ce qui m’effraie, aussi. Ça a donc un potentiel d’être un réel vecteur de changement. Le goût du risque est présent, à fond. »
Environnement, féminisme, feu
Pompières et pyromanes annonce un spectacle, finalement, dont on ne pourra que souligner l’extrême actualité, après un été 2023 où, de la Grèce au Nord-du-Québec, s’est resserré le constat d’un monde mal en point. « On s’est sentis très tendance ! » lance à la blague Julie Cloutier Delorme… avant d’évoquer plus gravement nos mentalités changeantes : la beauté, par exemple, d’un printemps qui, traditionnellement associé à la joie et au renouveau, sera de plus en plus associé aux risques à venir de la saison chaude, à l’angoisse…
Ce monde dans lequel nous entrons, l’essai de Delvaux s’efforce de le mettre en mots, à travers différentes figures féminines, des statistiques onusiennes rappelant un risque de 250 millions de déplacés environnementaux en 2050, des cris du coeur — celui rappelant que « notre maison brûle », par exemple, selon la formule de Greta Thunberg.
Or, le feu, s’il détruit, est aussi ce qui permet les grands embrasements nécessaires pour la suite. Dans un essai destiné à la jeunesse, ce feu prend la forme d’un amour à cultiver, carburant des luttes à venir. Le thème de l’environnement, Le bureau de l’APA souhaitait ainsi l’aborder sous l’angle de la fragilité. « On était attirés par la performance », dit Laurence Brunelle-Côté qui, atteinte d’une maladie neuromusculaire, montera comme à son habitude sur les planches. « Par le fait de créer des accidents, aussi, et d’explorer la fragilité. Par rapport à moi, par rapport à mon handicap, c’est sûr, mais aussi par rapport à la fragilité en général. […] Une phrase du livre dit ceci : “La beauté n’a pas besoin de nous.” Mais ce qui sera important, c’est que nous, on fasse partie de la beauté. »