Le gouvernement Legault pourra-t-il demander aux employés du réseau de la santé de tenir compte des « réalités culturelles et historiques » des Autochtones dans « toute interaction avec eux » sans reconnaître l’existence du racisme systémique ?
La question, qui divise des représentants autochtones et du milieu de la santé, risque de s’inviter dans les consultations sur le projet de loi sur la sécurisation culturelle dans le réseau de la santé, qui s’amorcent mardi.
Pour le Dr Stanley Vollant, il n’y a pas de doute. « Il faut nommer l’éléphant dans la pièce “l’éléphant”, et non pas le pachyderme à grandes oreilles », lance celui qui sera de passage au Parlement mercredi.
Le projet de loi 32 a été présenté en juin par le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière. Il note dès son préambule que « les Autochtones doivent être distingués des autres usagers puisqu’ils forment des nations ayant une histoire et une culture distinctes ».
L’offensive législative répond à une recommandation de la commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec. Cette commission, présidée par le juge à la retraite Jacques Viens, avait demandé que la notion de sécurisation culturelle soit enchâssée dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Ce principe sert notamment à créer des environnements sécurisants et accueillants pour les Autochtones, nombreux à vivre du racisme et de la discrimination dans le système de santé québécois, comme l’a entre autres démontré une enquête du Devoir en 2021.
Le juge Viens, d’ailleurs, sortira de son habituelle réserve pour venir discuter du projet de loi à l’Assemblée nationale. « Depuis la publication du rapport, beaucoup de médias ont communiqué avec moi, mais j’ai toujours refusé de donner des entrevues », a-t-il expliqué au Devoir, en acceptant cette fois d’être cité brièvement.
Or, puisque le projet de loi 32 tient compte de la recommandation que sa propre commission a formulée, M. Viens a accepté l’invitation. « Je me sentais un devoir de venir, tant pour les Autochtones que pour le ministre, qui pose un geste concret », a-t-il affirmé.
Après Joyce Echaquan
Le projet de loi a été déposé près de trois ans après la mort de Joyce Echaquan sous les insultes racistes du personnel soignant de l’hôpital de Joliette.
Dès le préambule, le texte cite le Principe de Joyce, qui vise « à garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé ». Bien que cité, ce principe n’est pas reconnu par le gouvernement Legault, puisqu’il commande une reconnaissance du racisme systémique.
Dans leur mémoire, les représentants de la communauté de Manawan — où vivait Joyce Echaquan — dénoncent l’exercice d’équilibre mené par le gouvernement. « Rappelons-nous que pour pouvoir apporter des changements concrets dans une société, il faut d’abord et avant tout reconnaître un problème », y est-il écrit. Pour cela, Québec devrait « reconnaître, adopter et mettre en oeuvre l’intégrité et l’intégralité du Principe de Joyce en l’insérant dans le cadre d’un projet de loi spécifique ».
Tanya Sirois, directrice générale du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec, souligne que la reconnaissance du racisme systémique est « importante pour la guérison ». Or, vu les besoins urgents, son organisation a pris le pari d’appuyer le projet de loi et de proposer des solutions et des changements… systémiques. « Nous, on dit : comment on peut élargir cette démarche-là pour que ça ait du rayonnement positif partout ? Que ce soit dans les écoles, les palais de justice, dans tous les services étatiques qu’un Autochtone fréquente », indique-t-elle.
L’objectif du gouvernement est « très louable », souligne le Dr Vollant. « Mais nommons la problématique qui est sous-jacente à ça », soutient-il, en rappelant que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) et le Collège des médecins reconnaissent l’existence du racisme systémique. À son avis, il est aussi impératif que des Autochtones siègent à des postes décisionnels dans les établissements de santé et que la sensibilisation des travailleurs de la santé aille au-delà de la formation de 90 minutes qui est offerte actuellement.
En entrevue, le président de l’OIIQ, Luc Mathieu, rejette les commentaires voulant que le personnel soignant, débordé, n’ait pas de temps à accorder à la sécurisation culturelle. « [C’est surtout] de l’incarner dans ce qu’on est comme soignant, quand on approche quelqu’un d’une communauté autochtone », explique-t-il.
M. Mathieu salue l’initiative du ministre Lafrenière. « La sécurisation, c’est un processus. L’objectif final, c’est la sécurité. Donc, que le ministre s’implique dans un processus, pour moi c’est positif, parce que ça va durer. Ce n’est pas juste de dire : check ! »