Les gens obèses sont seuls responsables de leur état
« L’obésité, ce n’est pas un choix personnel », dit la Dre Mélanie Henderson, pédiatre endocrinologue au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine. La génétique compte pour beaucoup. « Son impact dans le développement de l’obésité varie entre 20 et 80 %, indique-t-elle. Plusieurs gènes déterminent le poids. »
Deux personnes ayant le même mode de vie mais pas le même bagage génétique peuvent donc avoir des indices de masse corporelle (IMC) fort différents. « On sait que, quand un patient a beaucoup de gènes prédisposant à l’obésité, souvent il va avoir un IMC plus élevé qu’un patient qui a exactement les mêmes habitudes de vie, mais qui a une plus faible prédisposition », dit la Dre Marie-Philippe Morin, spécialiste en chirurgie bariatrique à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec.
Mais l’obésité ne tient pas qu’à la génétique. « C’est une problématique de santé multifactorielle », souligne la Dre Henderson. Des « éléments environnementaux » contribuent à l’obésité : « la sédentarité de notre société, la diminution de l’activité physique et du transport actif, les changements au niveau de l’alimentation, l’accessibilité à l’alimentation transformée, tout le phénomène de Super Size Me [Malbouffe à l’américaine] », énumère-t-elle.
Les obèses n’ont qu’à manger moins et à bouger plus. Ils vont maigrir.
L’affirmation est simpliste, et la réalité beaucoup plus complexe, disent les experts. Dans ses lignes directrices de pratique clinique, Obésité Canada indique que la perte de poids obtenue grâce aux changements des habitudes de vie « varie habituellement de 3 % à 5 % » chez les gens obèses, mais « peut améliorer significativement les comorbidités » qui sont liées à cette maladie chronique.
« L’activité physique et l’alimentation, ça a beaucoup de bénéfices sur plein de choses : sur le risque cardiovasculaire, sur la capacité cardiorespiratoire, sur la circonférence abdominale, sur la glycémie, souligne la Dre Morin. Par contre, la modification des habitudes de vie seule entraîne une perte de poids généralement modeste. » Beaucoup de patients reprennent plus tard les kilos perdus.
Selon l’endocrinologue Rémi Rabasa-Lhoret, environ 80 % des personnes obèses qui ont perdu du poids en mangeant mieux et en bougeant plus le regagnent en partie ou totalement. Un phénomène semblable se produit chez les patients qui arrêtent le médicament Ozempic, un traitement du diabète de type 2 qui fait perdre du poids, précise le vice-président, clinique et recherche clinique à l’Institut de recherches cliniques de Montréal. « Même avec la chirurgie bariatrique, à long terme, il y a une tendance à reprendre du poids, poursuit-il. Beaucoup moins qu’avec les autres options, mais tout de même. »
Et pourquoi ? La Dre Morin explique que les hormones de faim augmentent après une perte de poids et que les hormones de satiété diminuent. « Il y a aussi un ralentissement du métabolisme de base. C’est un mécanisme d’adaptation, un mécanisme de défense du corps, en réaction à la perte du poids. C’était un bon mécanisme quand on était en situation de famine il y a un siècle. Mais c’est sûr que, dans un environnement obésogène, le gain de poids est facilité. »
Dans le contexte, la perte de poids ne doit pas nécessairement toujours être le but visé, selon le Dr Rabasa-Lhoret. « L’objectif, c’est que les gens se sentent mieux, qu’ils aient moins de maladies et qu’on ait moins besoin de médicaments pour les traiter », affirme-t-il. Ils peuvent y parvenir et améliorer leur état de santé en changeant leurs habitudes de vie.
L’obésité se définit par un IMC de 30 et plus
« L’obésité, ce n’est pas un IMC, signale la Dre Morin. Il faut qu’il y ait des conséquences au niveau de la santé physique, psychologique, fonctionnelle, métabolique [pour qu’il y ait diagnostic]. Si cela n’a pas d’impact, c’est un poids qui est à risque. »
Selon elle, l’IMC est un « outil de dépistage très imparfait ». « Ça ne tient pas en compte la distribution des graisses : est-ce que c’est abdominal, au niveau des hanches, sous-cutané ? Ça ne tient pas en compte la masse musculaire, le volume des seins chez la femme, les graisses ectopiques (au niveau du foie, du pancréas, du coeur, etc.) », détaille-t-elle.
Le chercheur Jean-Pierre Després estime que recourir à l’IMC pour diagnostiquer l’obésité et les risques qui y sont associés est « un concept complètement dépassé ». Le tour de taille est une variable bien plus importante que le poids, martèle-t-il. Il y a une trentaine d’années, il a été parmi les premiers dans le monde à faire le lien entre l’obésité abdominale (ou viscérale) et les risques de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires.
« On s’est rendu compte en faisant des scans à la grandeur du corps que les gens qui ont de l’obésité viscérale ont des foies gras et ont le coeur enveloppé de gras », explique M. Després qui est aussi directeur scientifique de VITAM, un centre de recherche en santé durable du CIUSSS de la Capitale-Nationale, affilié à l’Université Laval. « Leurs muscles squelettiques ressemblent à du steak de Kobe. C’est tout persillé de graisse. Ça crée un état d’inflammation chronique. »
Ce qui n’est pas le cas de la graisse logée dans les fesses et les cuisses des femmes, de la « bonne graisse », selon Jean-Pierre Després. « Cette graisse est mobilisée lorsque la femme allaite, dit-il. Ça a assuré la survie de l’espèce à l’époque où il n’y avait pas de calories disponibles. »
Des études à grande cohorte ont depuis montré que « plus les femmes ont de graisse dans les fesses et les cuisses, plus elles sont protégées contre les accidents cardiovasculaires et le diabète de type 2 », rapporte-t-il. Un avantage qui disparaît progressivement à la ménopause, en raison de la chute des hormones féminines. Le tour de taille des femmes commence alors à augmenter.
Les hommes et les femmes peuvent donc souffrir d’obésité abdominale sans pour autant atteindre l’IMC d’obésité de 30. « On devrait parler “des obésités”, au pluriel, plutôt que de l’obésité », conclut-il.
Les gens qui ont un IMC de 30 ou plus sont en mauvaise santé
Selon le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, entre 10 et 15 % des personnes ayant un IMC de 30 ou plus sont « métaboliquement normaux », c’est-à-dire qu’ils ne souffrent pas de diabète de type 2, d’hypertension ni de problèmes de cholestérol. « Il y a de très belles études, surtout chez nos grands voisins du Sud, qui montrent que les gens en surpoids ou obèses, s’ils sont très physiquement actifs, vont développer moins de complications, comme le diabète et des maladies cardiovasculaires, que les gens de poids normal sédentaires », affirme-t-il.
Être obèse et « métaboliquement normal » ne signifie pas qu’on le demeurera toujours, rappelle le Dr Rémi Rabasa-Lhoret. D’autres problèmes de santé, liés à un poids élevé, peuvent aussi survenir, comme de l’arthrose ou un trouble de santé mentale.
Selon la Dre Morin, les gens ayant un IMC élevé et qui ne sont pas malades « ont tendance à avoir un risque cardiovasculaire un peu plus augmenté que les autres patients qui ont un poids santé ».