Le projet de méga-usine de Northvolt en Montérégie est considéré par plusieurs comme le dernier morceau permettant de boucler la chaîne de production des batteries pour véhicules électriques au Québec. Mais est-ce que l’entreprise pourra s’approvisionner entièrement au Québec ou au Canada, notamment pour ses minéraux comme le lithium ? Rien n’est assuré à ce stade-ci.
Dans sa future usine québécoise, Northvolt produira sa propre matière active de cathode, composée de nickel, de manganèse, de cobalt et de lithium, explique son directeur des affaires publiques, Laurent Therrien. Cette matière active sera apposée sur des feuillards d’aluminium pour créer la cathode, alors que du graphite sera joint à des feuillards de cuivre pour former l’anode,
Si tout se passe comme prévu, ce processus sera en place dès 2026, sauf pour la création de la matière active de cathode, qui proviendra dans un premier temps d’usines de Northvolt ailleurs dans le monde.
L’entreprise suédoise devra donc se procurer plusieurs minéraux critiques et stratégiques. « La chaîne d’approvisionnement dans cette industrie est extrêmement compliquée. Entre la mine et l’arrivée dans nos installations, il y a souvent plusieurs transactions qui passent par plusieurs pays, donc ça complexifie beaucoup la compréhension de l’origine de nos matières premières », répond M. Therrien.
Pour plusieurs de ces minéraux, toutes les infrastructures d’extraction et de transformation ne sont pas encore en place au Québec. Par exemple, il n’existe pas de mine ni de projet de mine de manganèse au Québec. Pour ce qui est du lithium, une mine est en exploitation et au moins six autres sont au stade de projet, alors que deux usines de transformation sont projetées pour 2026. Nouveau Monde Graphite aspire quant à lui à fournir du graphite à des compagnies comme Northvolt grâce à ses futures mines et usine de matériaux d’anode.
Pas 100 % local
Le porte-parole de Northvolt affirme que des discussions sont amorcées avec des entreprises québécoises, sans dévoiler lesquelles. « Il n’est pas réaliste de penser que 100 % de notre approvisionnement pourra être local, mais on a intérêt à s’approvisionner au Québec », reconnaît M. Therrien.
Cet intérêt est d’abord environnemental, puisque l’entreprise cherche à produire les batteries les plus vertes possibles. L’utilisation d’énergie hydroélectrique est un avantage pour les minières québécoises. Un circuit local permet également de réduire les émissions carbone liées au transport.
Encore faut-il que les fournisseurs québécois offrent des prix concurrentiels. « Nos clients ne peuvent pas payer n’importe quel prix pour nos cellules », admet M. Therrien.
Par ailleurs, il n’est pas certain que Northvolt dévoilera publiquement l’identité de ses fournisseurs, pour des raisons liées à la concurrence.
Chez Investissement Québec (IQ), on est convaincu que la chaîne de la batterie et celle des minéraux critiques et stratégiques (MCS) peuvent intégrer un grand nombre d’acteurs québécois. « Une des raisons principales pour lesquelles ces usines viennent s’installer au Québec, c’est la présence de MCS », indique Jean-François Béland, vice-président à Ressources Québec, une branche d’IQ.
Entre enthousiasme et prudence
Il n’est pas possible de forcer les entreprises privées à choisir des fournisseurs locaux. Il y a toutefois moyen de les influencer, croit M. Béland, notamment par des prises de participation. Par exemple, IQ possède 50 % des actions de Nemaska Lithium et 10 % de celles de Nouveau Monde Graphite, souligne-t-il.
« C’est une industrie qui se rassemble », estime également M. Béland, citant le fait que plusieurs entreprises sont voisines au sein du parc industriel de Bécancour.
Promoteur de longue date d’une filière des batteries au Québec, Karim Zaghib, professeur de génie chimique et des matériaux à l’Université Concordia, croit aussi que beaucoup d’ingrédients du Québec seront utilisés dans la fabrication des batteries à moyen terme. « Ici, il y a les ressources naturelles, l’énergie verte, le capital humain, la stabilité géopolitique », affirme-t-il.
Professeur en métallurgie extractive des éléments critiques et stratégiques, Jean-François Boulanger est un peu plus prudent. « Ce serait un tour de force que tous les minéraux soient disponibles et de source québécoise au moment où l’usine de Northvolt entre en activité », dit-il.
Selon ce professeur de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, il est souhaitable d’éviter qu’un intermédiaire à l’international détienne le contrôle d’un morceau important de la chaîne de production, ce qui lui permettrait notamment de contrôler le prix. Il rappelle que la Chine demeure un maillon majeur pour plusieurs de ces métaux, notamment le lithium.
Chose certaine, le nombre d’entreprises minières susceptibles de proposer leurs services à cette filière est en voie d’augmenter. Les annonces de projets industriels concrets, comme celui de Northvolt, mais aussi ceux de Ford et de General Motors à Bécancour, stimulent une augmentation de l’exploration pour des métaux critiques et stratégiques, selon Alain Poirier, directeur de projet à l’Association de l’exploration minière du Québec. Le plan d’action conjoint du Canada et des États-Unis pour la collaboration dans ce domaine a aussi eu cet effet.
« Le marché est vraiment nord-américain. Les minéraux d’ici peuvent servir ici, mais ça se peut qu’ils soient dirigés vers d’autres provinces ou aux États-Unis, parce que ça va répondre à un besoin précis », indique M. Poirier.
Il faudra toutefois être patient, parce que les projets d’exploration d’aujourd’hui ne se concrétiseront potentiellement que dans 10 ou 15 ans.