Le modèle de référence suggérant une allocation d’actif « 60 % actions et 40 % obligations » a retrouvé une certaine pertinence avec la hausse des rendements des titres à revenu fixe et le recul attendu des taux d’intérêt. Les analystes sont devenus plus nombreux à pousser plus loin et à tendre plutôt vers une inversion de cette répartition.
Lors d’une table ronde d’experts tenue à la mi-octobre, Martin Lefebvre, stratège et chef des placements à la Banque Nationale, soulignait que les obligations peuvent désormais être considérées comme « une belle alternative », présentant « moins de risques ». Il y a eu transfert de risque des obligations vers les actions sous le coup de la faiblesse des taux d’intérêt. Mais aujourd’hui, et avec cette relation inverse de taux d’intérêt-cours de l’obligation, « sans prendre vraiment de risques, tu peux avoir du 6 % qui va se développer en 7 %, 8 %, 9 %, voire 10 % avec le gain en capital additionnel, si on pense que les taux vont baisser », selon les propos recueillis par la collègue Clémence Pavic. Quant au marché boursier, les phases de correction pourraient être dominantes et l’expert plaide pour un « scénario de prudence ».
Dans une capsule vidéo présentée au début d’octobre, Daniel Ouellet, gestionnaire de portefeuilles au Groupe Ouellet Bolduc, chez Gestion de patrimoine Desjardins, fait le calcul qu’il devrait en coûter moins cher d’être justement prudent en 2024. En inversant le ratio cours/bénéfice de l’indice américain S&P 500, on observe présentement que les bénéfices des entreprises procurent à l’investisseur l’équivalent d’un rendement de 5,25 %. Lorsque comparée au taux sur les bons du Trésor américain de dix ans de 4,75 %, la prime de risque du marché des actions par rapport au marché obligataire est de 50 points de base, indique-t-il. « Il faut retourner 20 ans en arrière pour retrouver une prime de risque aussi faible. » Ce qui favorise un positionnement accru des portefeuilles en titres obligataires.
Autrement dit, l’écart moyen de quatre points de pourcentage ayant favorisé un portefeuille de croissance comparativement à un portefeuille équilibré au cours des dix dernières années est appelé à se résorber, dit le spécialiste. À ce contexte s’ajoute une correction des cours boursiers permettant d’obtenir des actions d’entreprise de première qualité à bas prix, avec un taux de dividende plus élevé.
Le scénario d’un poids accru des obligations au sein des portefeuilles s’en trouve ainsi renforcé en cette conjoncture inflationniste et ce potentiel d’une récession qui, si elle se manifestait, entraînerait à la fois une baisse des taux d’intérêt de long terme et une volatilité accrue du marché des actions. Avec, à la clé, les crises géopolitiques devenues le principal risque mondial, selon les participants au marché, dépassant celui du réchauffement climatique.
Et dans tout cela, que penser des certificats de placement garanti offerts à des taux supérieurs à 5 % ? « Effectivement, cela fait longtemps que l’on n’a pas vu cela. Mais le taux est fixe et le capital est gelé jusqu’à l’échéance. L’obligation négociable offre autant de rendement, mais son avantage est la liquidité. Elle permet aussi un mélange de fiscalité dans un contexte de baisse de taux d’intérêt. Mais je ne suis pas contre le CPG si l’investisseur veut la certitude », soulignait Daniel Ouellet dans une entrevue au Devoir accordée en novembre dernier.
Prévisions 2024
À titre indicatif, regardons les prévisions des économistes du Mouvement Desjardins. Aux États-Unis, l’indice de référence de Wall Street, le S&P 500, devrait terminer 2024 autour de 4300 points, soit une croissance de 5 % sur un an. À Toronto, le S&P/TSX pourrait faire mieux et terminer l’année autour de 20 000, avec une poussée de 8 %.
Sur la scène des obligations gouvernementales. le taux du bon du Trésor américain à 30 ans est attendu à 3,4 % à la fin de l’année prochaine, contre 4,6 % cette année. Celui sur l’obligation du gouvernement du Canada à échéance de 5 ans est vu à 2,65 %, contre 4,1 % à la fin de 2023. Quant à la fameuse courbe de rendement, présentement inversée donc annonciatrice d’une récession semble-t-il, elle devrait s’aplatir avec des taux oscillant entre 3,3 et 3,45 % pour les échéances de 2 ans et de 30 ans respectivement aux États-Unis, et entre 2,7 et 2,75 % de ce côté-ci de la frontière.
Les économistes de l’institution entrevoient également l’amorce du recul du taux directeur des banques centrales à partir du deuxième trimestre au Canada, du troisième aux États-Unis.
Des régimes de retraite en santé
Les régimes de retraite bénéficient également de l’envolée des taux d’intérêt. Un portefeuille équilibré de type régime de retraite aurait produit un rendement de –4,9 % au troisième trimestre, contre un rendement positif de 2,1 % au deuxième et de 4,6 % au premier. N’empêche, malgré ce rendement négatif, l’indice Mercer sur la santé financière des régimes de retraite, qui mesure le degré de solvabilité médian de ceux à prestations déterminées (PD) figurant dans sa base de données, est passé de 119 % au 30 juin 2023 à 125 % au 30 septembre. Cela est dû à l’effet plus que compensatoire de la hausse des taux d’intérêt sur la valeur du passif. L’indice était à 113 % en début de l’année.
À la fin du troisième trimestre, on estime que 88 % des régimes dans la base de données présentent un excédent d’actif selon l’approche de solvabilité (contre 85 % à la fin du deuxième). Au Canada, bon nombre des régimes PD affichent un excédent. « Ils sont nombreux à avoir atteint un niveau de capitalisation rendant possibles les congés de cotisation (ce qui n’était pas arrivé depuis un bon moment) », fait ressortir Mercer.
Intéressant !