Le Festival Bach 2023 s’ouvrait vendredi à la Maison symphonique avec un concert fort original d’oeuvres de fils peu joués du grand Jean-Sébastien. Avant la pause Johann Christian et après la pause Johann Christoph Friedrich, dont Reinhard Goebel, le chef, nous apprend que le diminutif était Fritz. La musique des deux cadets fait surtout penser à Haydn et au jeune Mozart.
On était bien loin de Bach père avec ces deux rejetons qui n’avaient qu’une chose en tête : couper le cordon ombilical musical avec papa. Un père que Fritz a connu pendant 18 ans et Johann Christian 15 ans. Si l’on se réfère à ce que Reinhard Goebel a raconté dans les colonnes du Devoir samedi dernier, on aurait d’un côté Johann Christian, résident londonien, qui pressent la musique de l’avenir, telle qu’elle se fera à Vienne avec Haydn et Mozart et de l’autre Fritz, le terne, enterré dans un trou paumé dans le nord de l’Allemagne et qui, sur le tard, va, comme un boomerang, ressentir de Vienne le parfum de la musique plus ou moins influencée par son frère, alors que ce dernier est mort depuis 10 ans.
En d’autres termes la première partie du concert nous proposait une symphonie de 1770 et un concerto de 1774 de Johann Christian, dates correspondant à l’adolescence de Mozart, et qui sonnaient comme du Mozart genre 25e ou 29e Symphonies (1773/74). La seconde partie permettait d’entendre du Fritz de 1792 et 1794, années postérieures de 1 et 3 ans à la mort de Mozart, mais musiques d’un esprit auquel on semblait avoir greffé le cerveau de Mozart adolescent… si l’on me passe cette boutade.
Accumulation
En fait, évoquer Mozart est une image, car c’est un Mozart sans la grâce. On pourrait parler de Haydn, mais ce serait un Haydn sans l’humour. La trace d’originalité de Fritz c’est un grand duo mélodique de hautbois dans le Concerto grosso pour piano de Fritz. Mais c’est un peu niaiseux pour un concerto pour piano. Plus amusante : l’entrée ralentie du même piano dans le 1er volet. La qualité de son frère est évidemment d’anticiper le classicisme.
Reinhard Goebel s’amuse beaucoup à fouiller dans ces répertoires oubliés parfois plus ou moins perdus et le concert n’est pas désagréable. On admire la limpide et lumineuse Schaghajegh Nosrati d’avoir mémorisé ces avalanches de doubles croches et de leur avoir accordé tant d’importance. Mais ce qui est un plaisir intellectuel puissamment satisfaisant (la logique interne du programme) pour le chercheur, le musicologue et l’interprète devient-il une soirée exaltante pour le mélomane ? Nous en doutons fort.
Le concert, très bien défendu par l’Orchestre du Festival a fait passer une belle soirée éphémère. Son seul problème était l’accumulation, l’empilage des découvertes : une seule de ces oeuvrettes aurait suffi, par exemple la Symphonie de Fritz. Allez, on en passe deux : la Symphonie de Fritz et le Concerto de Johann Christian, ou l’inverse. Mais qu’on nous donne à côté un tout petit peu de « vraies affaires ». Si on cherche une descendance à cette musique on la trouvera très indirectement dans celle du jeune Mendelssohn qui enfile pareillement de la note au kilomètre qui entre par une oreille et sort par une autre.
Relativisons : ce n’était certes pas un Plan 9 from Outer Space musical, mais — et nous excluons là la Symphonie de Johann Christian qui, pour 1770, est très solide — on se disait à plusieurs reprises au cours de la soirée que pour une fois il n’y avait pas que les remplissages au forceps de quotas de diversité qui pouvaient nous faire perdre notre temps avec des fadaises qui nous privaient de la programmation de vrais chefs-d’oeuvre de la musique.