Ruée chinoise vers les ressources naturelles du Kazakhstan


En 2013, le président chinois, Xi Jinping, lançait le projet titanesque des nouvelles routes de la soie, officiellement appelé Belt and Road Initiative. Dix ans plus tard, Le Devoir s’est rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan, deux pays au coeur de ces nouvelles voies commerciales. Quatrième d’une série de huit carnets de route.

Sur le quai de la gare d’Almaty, des vendeurs de pommes, poussant leurs chariots en bois, se massent près des portes du train. Les voyageurs, le pas rapide, s’engouffrent les uns à la suite des autres dans les voitures. Puis cherchent leurs couchettes, où ils étendent, à force d’acrobaties, leurs draps sous la chaleur suffocante. Sur le coup de 23 h, le train entame enfin son lent voyage à travers les steppes du Kazakhstan. Pour nous, la destination sera Chimkent, à 14 heures de là, qui abrite l’une des trois raffineries de pétrole du pays.

Avec ses importants gisements de gaz naturel, de pétrole, d’uranium, de fer, de charbon et de tant d’autres matières premières, le lucratif secteur des ressources naturelles du Kazakhstan fait la richesse du pays, mais suscite aussi la convoitise de ses voisins, dont la Chine. Avec ses besoins en énergie sans cesse grandissants, l’empire du Milieu s’est d’ailleurs taillé une place dès 1997 dans le secteur énergétique kazakh.

La Société nationale de pétrole de Chine avait alors acheté des parts dans la compagnie AktobeMunaiGas, une entreprise énergétique kazakhe qui exploite des gisements d’hydrocarbures dans la région d’Aktobe, près de la mer Caspienne. Depuis cette première incursion, de multiples autres ont suivi, au point où plus de la moitié des investissements chinois effectués au Kazakhstan sont liés aujourd’hui au secteur énergétique.

Sentiment antichinois

 

Grâce à la vitesse que prend le train, un filament d’air frais — si salutaire — pénètre enfin par ses fenêtres. Derrière les portes closes des compartiments, des parcelles de vie prennent alors tranquillement forme. Après avoir plongé dans la noirceur notre cabine formée de deux couchettes superposées, une vieille dame s’endort rapidement. À côté, des familles, qui s’installent parfois pour un voyage de deux jours, sortent leurs provisions de mantis (grands raviolis), de samosas (beignets triangulaires), de pain naan et de thé, formant un véritable festin aux arômes de l’Orient. Et les conversations s’animent.

Nesibeli, 65 ans, se rend à des retrouvailles scolaires à Chimkent, en compagnie de son mari et d’une amie. Selon elle, la présence chinoise au Kazakhstan se fait trop envahissante. « Ça me fait peur, l’intérêt que les Chinois portent à notre pays, laisse-t-elle tomber. Nos ancêtres nous ont donné cette terre, nous devons la préserver et ne pas la donner. J’ai peur que les Chinois viennent ici en masse. »

Des craintes qui avaient éclaté au grand jour en 2016, lorsque d’importantes manifestations antichinoises s’étaient tenues à la suite d’une réforme agraire proposée par le gouvernement de l’ex-président Nazarbaïev, qui aurait potentiellement permis à des investisseurs chinois de mettre la main sur des terres agricoles kazakhes. La contestation, alimentée selon certains par la désinformation, avait finalement eu raison de la réforme, qui avait été abandonnée, mais qui n’a pas pour autant calmé la sinophobie — dans ce train comme ailleurs.

Investissements nécessaires

 

Après une nuit bercée par le mouvement du train, le soleil commence lentement à se réverbérer sur la steppe, avec, toujours en toile de fond, l’envoûtante chaîne enneigée des Tian Shan ( « montagnes célestes » en mandarin) qui nous suit tout au long de notre route. Quelques compartiments plus loin, Yerbol et sa femme, Tanar, se font tirer de leurs couchettes par leurs enfants d’un et quatre ans. « Ils n’ont presque pas dormi de la nuit. Ils voulaient tout le temps bouger et ils avaient tout le temps faim ! » dit avec humour le jeune père, qui pose un regard plus ouvert sur la Chine.

« Les investissements chinois peuvent être utilisés pour stimuler le développement économique du Kazakhstan », estime-t-il. Un argument qui sera repris par plusieurs experts au cours de notre voyage : l’Asie centrale a besoin d’investisseurs étrangers, particulièrement pour exploiter ses ressources naturelles.

En filant toujours vers l’ouest, on remarque, sur les quais des gares, à chaque arrêt, des passagers en grand nombre qui sortent fumer ou acheter quelques victuailles avant de remonter à bord. Dans la voiture-restaurant, certains commandent des pirojkis pour déjeuner, pendant que d’autres enchaînent déjà bières et vodkas.

Voie rapide vers la Chine

 

En après-midi, on atteint Chimkent, centre de commerce historique des anciennes routes de la soie, aujourd’hui troisième ville du pays avec son million d’habitants. Et on se rend sur le site de la raffinerie exploitée par PetroKazakhstan Oil Products, détenue en parts égales par KazMunaiGas et la Société nationale de pétrole de Chine. Sous sa dizaine de cheminées blanc et rouge, quelque six millions de tonnes de pétrole y sont raffinées annuellement.

Une quantité que le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a annoncé vouloir doubler lors du sommet Asie centrale-Chine tenu en mai dernier. Du même souffle, il a aussi annoncé sa volonté d’augmenter la capacité du pipeline Kazakhstan-China, détenu en parts égales par KazTransOil et la Société nationale du pétrole de Chine.

La construction d’un deuxième gazoduc de la ligne Beïnéou-Bozoi-Chymkent — transportant du gaz naturel vers le sud du Kazakhstan et vers la Chine —, projet également détenu à égalité de parts par des intérêts kazakhs et chinois, est également sur la table. « Nous espérons que nos amis chinois continueront de nous aider à promouvoir ces projets importants à l’échelle régionale », a déclaré, sans détour, le président Tokaïev.

Selon Rasul Rysmambetov, un financier d’Almaty, « de 20 à 25 % de l’industrie pétrolière kazakhe est détenue par des intérêts chinois », bien qu’une certaine opacité entoure l’exacte implication chinoise. Une part que Kassymkhan Kapparov, doyen de l’école d’économie et de finance de l’Université de gestion d’Almaty, juge « convenable », en précisant que la Chine n’a pas fait de « gestes agressifs » pour accroître sa participation dans le secteur. « Mais ils veulent s’assurer d’avoir un approvisionnement stable. » Le Kazakhstan exporte aussi ses ressources naturelles vers d’autres pays, notamment la Grèce, l’Allemagne et la France.

Accès difficile pour l’agroalimentaire

Toutes les matières premières ne bénéficient toutefois pas de la même voie rapide vers la Chine. L’entreprise agroalimentaire AsiaAgroFood, qui a une capacité de production de 400 tonnes de farine de blé et de 200 tonnes de maïs par jour, aimerait aussi accroître ses exportations vers l’empire du Milieu.

« Mais c’est très difficile d’accéder au marché chinois. Ils ont de petits quotas pour l’importation », indique Ekaterina Khalikova, directrice du marketing, qui précise que l’entreprise, qui embauche 600 travailleurs, se trouve néanmoins sur la liste convoitée des fournisseurs autorisés par le gouvernement chinois.

« On envoie actuellement 5200 tonnes de maïs par mois en Chine, mais on souhaite augmenter cette quantité à 10 000 tonnes. Et on espère pouvoir commencer à lui fournir de la farine de blé dans les prochains mois à raison de 3000 tonnes par mois. »

Déjà, l’entreprise, sise dans le village de Jibek Joly, qui, de façon cocasse, signifie « route de la soie » en kazakh, a élaboré de nouveaux emballages plus colorés, conçus spécialement pour séduire la clientèle chinoise et susciter un appétit pour les produits kazakhs. « J’espère que la Belt and Road Initiative va rendre cette coopération plus facile et plus fluide », dit-elle.

Avec Naubet Bisenov

 

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international

Transat- Le Devoir.

Demain : En Ouzbékistan, une révolution par le haut est-elle une révolution ?

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