S’attaquer à l’épidémie d’obésité | Le Devoir

Les populaires médicaments visant à traiter l’obésité font les manchettes depuis des mois. À qui faut-il les prescrire ? Québec doit-il les rembourser ? N’y a-t-il pas un risque de dérive ? Pendant que le débat fait rage, une autre réalité est passée sous silence : nombre de Québécois obèses sont incapables d’obtenir un suivi avec une nutritionniste et un kinésiologue. Des experts réclament un plan d’action sur l’obésité afin de prévenir et de traiter cette maladie chronique devenue une véritable épidémie.

Au Québec, un adulte sur quatre est obèse. Un enfant sur dix. Mais la « majorité » d’entre eux n’ont pas accès à une clinique multidisciplinaire pour modifier leurs habitudes de vie, signalent des médecins consultés par Le Devoir.

Il s’agit pourtant du « traitement de base de toutes les maladies chroniques », rappelle la Dre Marie-Philippe Morin, spécialiste de la chirurgie bariatrique, qui pratique à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ).

« Actuellement, pour avoir accès à des programmes de modification d’habitudes de vie, il faut être diabétique, avoir une maladie cardiovasculaire ou une maladie pulmonaire obstructive chronique, explique-t-elle. Si tu n’as pas ça, tu ne rentres pas dans le programme. »

Rien ne peut changer ça : même une cirrhose due à l’obésité. « Tu as un IMC à 60, de l’arthrose au genou, tu n’es pas capable de marcher, de t’essuyer pour aller aux toilettes et tu n’es plus capable de travailler, tu ne rentres pas dans le programme ! »

« C’est terrible à dire, conclut-elle, mais quand le patient est diabétique, on est contents, parce qu’il va avoir des services et une accessibilité aux soins. »

Et encore, rétorque le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, directeur du conseil professionnel de Diabète Québec. « Même avec le diabète, ce n’est pas facile », constate l’endocrinologue, qui pratique au CHUM.

Selon lui, il est grand temps que le Québec se dote d’une « politique claire de prévention et de prise en charge » des gens souffrant d’obésité. Cette maladie chronique est notamment à la source de problèmes comme le diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de cancers. « On est en train de se battre pour savoir si on devrait accéder à l’Ozempic — plus, moins, pour qui, quand, comment et ainsi de suite —, mais en même temps, référer un patient à un nutritionniste, à un kinésiologue et à un psychologue, si on n’a pas d’assurance privée, c’est très difficile », déplore le vice-président, clinique et recherche clinique à l’Institut de recherches cliniques de Montréal. L’accès à des professionnels est limité dans le réseau public.

Peu de ressources pour les enfants

La pédiatre endocrinologue Mélanie Henderson, qui pratique au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, compte sur le bout de ses doigts les programmes de prise en charge multidisciplinaire destinés aux jeunes vivant avec l’obésité. « La plupart des régions n’en ont pas », se désole-t-elle.

Les listes d’attente sont longues au programme Circuit du CHU Sainte-Justine, qui possède des antennes à Terrebonne et à Rimouski. Les critères d’admissibilité ont été resserrés. « Maintenant, on voit les jeunes avec un minimum de deux comorbidités associées à leur obésité [ex. : diabète de type 2 et hypertension], parce qu’on n’arrivait pas à répondre à la demande quand on avait juste un facteur de risque », dit la Dre Henderson.

La spécialiste estime que le gouvernement doit déployer davantage de programmes du genre, qui comportent des ressources en santé mentale. « Ce sont des jeunes qui vivent de la victimisation, de la stigmatisation, qui ont souvent une estime personnelle effondrée, une image corporelle…, on n’en parle pas, et qui ont également des taux d’anxiété et de dépression supérieurs à la population pédiatrique ne vivant pas avec l’obésité », souligne la Dre Henderon.

Malgré un changement de mode de vie, des médicaments ou la chirurgie bariatrique peuvent s’avérer nécessaires, soulignent les experts consultés. Or, les médicaments visant à faire maigrir ne sont pas couverts par le régime québécois d’assurance médicaments. Plusieurs assureurs privés ont récemment cessé de rembourser, pour traiter l’obésité, le médicament Ozempic, autorisé par Santé Canada pour le diabète de type 2. 

Depuis, de nombreux médecins ont dénoncé la situation. Ils réclament que l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) puisse évaluer la pertinence de ces médicaments, ce que l’INESSS n’est pas en mesure de faire, car les médicaments pour la perte de poids sont exclus du régime québécois d’assurance médicaments.

Un projet pilote avec l’INESSS

Le dossier évolue. À Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) indique avoir confié un mandat de « soutien » à l’INESSS pour « la mise en oeuvre d’un projet pilote sur l’usage ciblé des médicaments pour le traitement de l’obésité ».

Un pas dans la bonne direction, selon le Dr Claude Garceau, interniste à l’IUCPQ. Il croit toutefois que Québec doit reconnaître l’obésité comme une maladie chronique et payer les traitements à ceux qui en ont besoin. Le médecin admet que le gouvernement est placé devant un dilemme. « C’est une question de masse, observe-t-il. Si tu as une maladie rare, la fibrose kystique par exemple, on peut te donner un médicament à 300 000 $ par année. Il n’y a pas beaucoup de patients. Ce n’est pas grave. Mais si tu as 20 % de la population qui est obèse, bien là, tu ne le peux pas. Je comprends que c’est une grosse décision. »

Quand on lui demande s’il reconnaît l’obésité comme une maladie chronique, le MSSS répond qu’il ne s’est « pas officiellement positionné » à ce sujet. « Bien que la majorité des organismes médicaux et scientifiques reconnaissent que l’obésité est une maladie chronique complexe, évolutive et récidivante qui exige un soutien à long terme, aucun gouvernement provincial ou territorial au Canada n’a entériné cette recommandation », écrit-on dans un courriel.

Aux yeux de la Dre Henderson, l’obésité n’en demeure pas moins une maladie chronique, dont la société n’a pas encore pris la pleine mesure. « Le taux d’obésité pédiatrique a triplé depuis 30 ans. On n’a pas encore vu les conséquences à l’âge adulte de cette épidémie. »

À quand une campagne sur le tour de taille ?

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