La hausse du coût de la vie frappe de plein fouet de nombreux étudiants postsecondaires. Pour son deuxième texte sur le sujet, Le Devoir a recueilli les témoignages de deux étudiantes qui se sont endettées de dizaines de milliers de dollars.
« Mon retour aux études, c’est une de mes plus grandes fiertés, mais c’est un échec financier total. En sachant tout ça, je ne sais pas si je le referais », déclare Bianka Letarte-Durand.
Par visioconférence à partir de son domicile du quartier Val-Bélair, à Québec, la femme de 38 ans raconte le parcours qui l’a amené à s’endetter au privé de près de 80 000 $, frôler la faillite et ébranler sa santé mentale.
C’est avec enthousiasme que cette mère de famille monoparentale de deux enfants avait entamé en 2019 un baccalauréat d’une durée habituelle de quatre ans, en enseignement au secondaire, une profession frappée par une grave pénurie de main-d’oeuvre. Technicienne juridique de métier, Bianka avait été travailleuse autonome dans l’entretien ménager résidentiel pendant près de trois ans, car cela lui assurait la flexibilité nécessaire pour élever ses enfants, aujourd’hui âgés de 10 et 13 ans. Puis, elle s’est passionnée pour l’enseignement lorsqu’elle s’est questionnée sur ses ambitions de carrière.
Étudiante à temps plein à l’Université Laval, elle a reçu annuellement entre 18 000 $ et 25 000 $ de bourses provenant de l’aide financière aux études lors de ses trois premières années d’études. C’est parmi les montants les plus élevés qu’un étudiant universitaire peut recevoir, puisqu’elle est une mère de famille monoparentale sans soutien extérieur, qu’elle a une déficience fonctionnelle reconnue et qu’elle n’avait déclaré aucun revenu d’emploi, se consacrant entièrement à ses études et sa famille.
Malgré tout, cette aide n’était pas suffisante pour payer ses dépenses scolaires, ses factures courantes, la nourriture et les vêtements pour ses enfants. Elle a donc commencé à contracter des prêts sur sa carte de crédit et sa marge de crédit auprès de son institution financière. Elle a également retiré le montant qu’elle avait accumulé jusque là dans son régime enregistré d’épargne-retraite.
« À l’automne 2022, avec la hausse des taux d’intérêt, j’ai perdu le contrôle complètement », se rappelle Bianka, qui assure qu’elle avait auparavant un bon dossier de crédit. Elle a finalement dû faire une proposition de consommateur auprès de ses créanciers pour éviter la faillite. Cette solution affectera sa capacité d’emprunt pendant plusieurs années.
Des stages non rémunérés
Les stages en enseignement, qui ne sont pas rémunérés, ne pouvaient pas l’aider à éponger ses déboires. Elle a donc commencé à faire de la suppléance dans les écoles, tout en réduisant le nombre de cours par session qu’elle suivait. Déclarant un revenu brut de près de 25 000 $ en 2022, elle a vu son aide financière aux études quant à elle fondre comme neige au soleil. Le ministère de l’Enseignement supérieur lui a retranché la moitié de ses revenus d’emploi déclarés, soit environ 12 500 $. Une fois les impôts retirés, on peut ainsi calculer qu’elle a perdu en bourses la majeure partie de ce qu’elle a gagné en travaillant.
Aujourd’hui, Bianka travaille à temps plein comme suppléante dans des écoles et comme remplaçante dans une garderie, tout en poursuivant une cinquième année de baccalauréat.
« Il est hors de question que j’abandonne après avoir perdu tout ça », dit-elle, même si ses déboires financiers ont ralenti son cheminement. Il faut aussi dire qu’elle aime beaucoup son travail d’enseignante. « J’ai la piqûre », assure-t-elle.
La trentenaire doit bientôt effectuer un quatrième stage, mais elle a pris une décision délicate. « Si je vois que les stages ne sont toujours pas rémunérés, je vais attendre un an. Je n’ai pas les moyens de payer les frais de scolarité et de n’avoir aucun revenu pendant ce temps-là, parce que les règles de l’université font que je ne peux pas faire de la suppléance en même temps. »
Bianka croit que l’aide financière aux études, bien que plus généreuse envers les personnes qui ont des enfants, n’est pas adaptée à elles. Alors qu’on manque cruellement d’enseignants dans les écoles et qu’on donne des primes aux retraités pour qu’ils reviennent dans les classes, elle se demande également pourquoi les étudiants de ce domaine ne sont pas encouragés davantage par l’État. Il y a bien la bourse de 2500 $ par session de Perspective Québec, qui vise à encourager les études dans certains domaines stratégiques, mais elle peut seulement être accordée à la fin de chaque session.
Le cas de Bianka n’est pas anecdotique. Une enquête sur le financement des étudiants publiée cette semaine par l’Union étudiante, qui regroupe les associations étudiantes universitaires du Québec, a été menée à l’automne 2022 auprès de 12 000 étudiants de 13 établissements. Il en ressort notamment que 41,1 % du total des dettes détenues par les répondants proviennent d’institutions financières privées plutôt que du programme provincial. Et la moyenne des prêts auprès des banques est de 22 892 $.
Trop riche pour l’aide, trop pauvre pour payer ses factures
L’endettement touche aussi des étudiants du niveau collégial. Mégane Bourdon, présidente du Regroupement des étudiantes et étudiants du cégep de Joliette, dit voir un grand nombre de ses collègues en détresse financière, n’ayant pas le temps de dormir entre leurs cours et leur emploi pour payer leurs factures et leurs dettes. En somme, elle connaît beaucoup de personnes comme elle.
Lors de son retour aux études, après quelques années durant lesquelles elle a travaillé comme gérante d’un commerce après la fin de son secondaire, Mégane a vérifié si elle pouvait se qualifier pour le Programme de prêts et bourses. « J’avais eu un salaire trop élevé pour y avoir accès », rapporte l’étudiante en sciences humaines.
Comment continuer de payer son hypothèque, ses taxes, sa voiture essentielle aux déplacements dans Lanaudière, son épicerie ? Elle a dû se résoudre à continuer de travailler à temps plein, tout en suivant le minimum de cours nécessaires pour être considérée comme étant à temps plein au collégial. La même histoire s’est répétée l’année suivante. Jusqu’à ce que la vingtenaire fasse un épuisement professionnel.
« J’ai été en arrêt de travail, mais je n’avais pas droit à l’assurance-emploi, parce que je suis aux études. Je me suis donc mise à prendre des prêts au privé pour subvenir à mes besoins », raconte Mégane, qui juge s’être rendue à un niveau d’endettement catastrophique de dizaines de milliers de dollars.
Ironiquement, puisqu’elle a peu travaillé en 2023, elle pourrait maintenant avoir droit à environ 10 000 $ d’aide financière aux études. Mais ce montant ne sera pas suffisant pour subvenir à ses besoins.
« Avec la hausse du coût de la vie, il faudrait que je puisse avoir accès à ce 10 000 $ de bourse tout en travaillant 40 heures par semaine », estime celle qui croit que l’accès aux prêts et bourses du gouvernement est trop restreint.
À la tête de son association étudiante, Mégane a fait beaucoup d’efforts pour soutenir ceux vivant dans la précarité. « La session passée, on a donné pour la première fois des bourses d’urgence. On avait un budget de 3000 $ et on l’a passé en un mois et demi, alors on l’a augmenté à 5000 $ », indique la passionnée de syndicalisme.
Tous les jours, l’idée de lâcher l’école traverse l’esprit de Mégane. « En mi-session et en fin de session, c’est là qu’on remet nos études en question. C’est extrêmement exigeant, mais l’espoir d’un avenir meilleur maintient en vie la motivation des étudiants. »