Les corridors de l’Assemblée nationale sont toujours riches d’observations. Sur la politique, évidemment, mais pas que.
Mercredi matin, 8 h 15, l’humeur est plus que détendue dans les rangs de l’aile parlementaire du Parti québécois (PQ). Descendant un escalier vers une salle de point de presse, sous l’oeil de quelques journalistes à peu près réveillés, le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, entouré de son personnel et d’un député, entonne soudain, tout sourire, une chanson popularisée par Roger Whittaker :
« Hello, hello,
Bonjour, happy day »
M. St-Pierre Plamondon ne va pas plus loin dans sa prestation. Mais la suite de la chanson, reprise récemment au Québec par le groupe 2Frères, n’aurait que confirmé ce qui était déjà manifeste :
« Voilà le soleil et je suis heureux […]
Le monde est gentil tout est merveilleux. »
La veille, mardi, le premier ministre François Legault avait pour la première fois commenté le dépôt par le PQ du budget d’un Québec souverain.
Dans le cadre plus solennel du Salon bleu, M. Legault a d’abord présenté une réponse calibrée de la part de la Coalition avenir Québec (CAQ). Mais c’est dans un corridor, après la période des questions, que les shrapnels ont volé. Le premier ministre a montré comment M. St-Pierre Plamondon avait réussi à le chatouiller sous l’armure avec ses propos des derniers jours.
« Y a-tu quelque chose de plus insultant que de se faire traiter de Jean Charest ? Il a même dit “Jean Chrétien”, quand même », a-t-il dit en marchant vers son bureau.
« Vieilles chicanes »
Au cours des deux dernières semaines, la CAQ a été confrontée pour la première fois depuis son élection, en 2018, à la réapparition des contours d’un Québec souverain.
M. St-Pierre Plamondon a d’abord affirmé qu’il est favorable à une monnaie et à une armée québécoises. À M. Legault, qui l’accusait d’être loin des préoccupations de la population, le chef péquiste a servi sa première comparaison.
« C’est hallucinant, je crois entendre Jean Charest », a-t-il dit en Chambre.
Puis, lundi, le PQ a présenté son budget d’un Québec souverain. En abordant le sujet mardi au Salon bleu, M. Legault est revenu à l’idée maîtresse du parti qu’il a fondé en 2011 : sa volonté de transcender les lignes de fracture fédéraliste-souverainiste.
« Il y a un parti qui veut retomber dans l’ancienne chicane qui a duré 50 ans, avant la CAQ », a-t-il répondu à son adversaire péquiste.
M. St-Pierre Plamondon a alors saisi l’occasion d’une deuxième comparaison. « Les vieilles chicanes, c’est l’expression de Jean Chrétien », a-t-il lâché.
Quelques instants plus tôt, le chef libéral intérimaire, Marc Tanguay, avait pour sa part remis en question l’adhésion de M. Legault au fédéralisme canadien, ce qui a permis au premier ministre caquiste de renvoyer ses adversaires dos à dos.
« Ces deux partis-là rêvent de ramener cette chicane-là parce que, depuis que la CAQ a mis ça de côté, bien, ils sont un peu effacés », a-t-il dit.
Remontée péquiste
Depuis son arrivée au pouvoir, il y a cinq ans, le parti de M. Legault a surtout été habitué à assister au lent déclin des deux « vieux partis », le PQ et le Parti libéral du Québec (PLQ).
Durant son premier mandat marqué par la pandémie, François Legault s’est d’ailleurs appliqué à accentuer l’axe gauche-droite. Il a réservé certaines de ses plus belles attaques au co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, qu’il s’est plu à dépeindre en woke.
À la veille du déclenchement de la dernière campagne électorale, le PQ semblait voguer péniblement vers son dernier scrutin. Et le PLQ s’est embourbé dès les premiers jours de la campagne.
Durant un débat des chefs, M. Legault s’est laissé aller à dire que le PLQ n’avait plus de raison d’exister. « Le PLQ n’a plus le monopole d’être contre la souveraineté », avait-il souligné.
Si les résultats des libéraux ont pu le conforter dans ses convictions, aux dernières élections générales, ceux du PQ ont dû allumer quelques voyants sur le tableau de bord de la CAQ.
La récente victoire péquiste dans l’élection complémentaire de Jean-Talon, au début du mois, à Québec, a scellé la perception d’une remontée de la formation souverainiste.
Cette semaine, M. Legault accusait le PQ d’avoir fait ce gain en dissimulant son option.
Le premier ministre avait pourtant bien insisté pour dire, après avoir déclenché la campagne dans Jean-Talon, qu’il serait question cet automne du coût de la vie et non de souveraineté.
Pour bien mettre en évidence la frivolité du projet péquiste dans le contexte actuel, sans doute. Mais il est difficile de ne pas y voir aussi un souhait. Comme si la réapparition de la souveraineté pouvait faire ressurgir les vieilles lignes de fracture qui fragiliseraient l’édifice de la CAQ.
Après tout, il ne faut pas oublier que les 36 % d’appuis à la souveraineté du Québec, mesurés en juin dans un sondage Léger, se composent du tiers des sympathisants caquistes.
Bébé gâté
Dans les rangs caquistes, certains aimeraient sans doute entendre la suite de la chanson de M. St-Pierre Plamondon.
« Peut-être bien que j’ai rêvé tout cela
Peut-être bien que tout ça n’existe pas
Et bien tant pis dans mon rêve
C’était si bon »
Les feux de la rampe étant ce qu’ils sont, des caquistes croient d’ailleurs que la partie pourrait se corser pour le chef péquiste.
Le Devoir a recueilli cette semaine les impressions de cinq députés caquistes, qui ont préféré garder l’anonymat pour s’exprimer plus librement.
Pour le premier d’entre eux, les récents contours esquissés par M. St-Pierre Plamondon autour d’un Québec indépendant ont le potentiel de nourrir les débats au sein même des souverainistes. Il relève notamment qu’en prônant l’abandon du dollar canadien au profit d’une devise québécoise, le chef péquiste est en rupture avec ses prédécesseurs.
« Il dit : je veux un dollar québécois. D’où ça sort ? » s’étonne-t-il.
Un deuxième élu caquiste croit que l’image du « petit gars parfait » du chef péquiste va se détériorer avec le temps.
« Je vois son comportement à tous les jours, pour moi c’est un bébé gâté, confie cet élu. Quand ça ne fait pas son affaire, il boude. J’ai l’impression que, les journalistes, vous allez vous en rendre compte et, par le fait même, la population. »
Quant à l’effet de la souveraineté sur la CAQ, le contexte géopolitique en Ukraine et en Israël milite en faveur de la stabilité, selon ce même député.
« Discuter de souveraineté dans ce contexte-là ça n’a pas rapport, ce n’est pas le temps, dit-il. Ce n’est pas que le Canada est devenu extraordinaire, je ne pense pas du tout, mais il y a quand même une espèce de sécurité. »
Un troisième député croit que le sujet de la souveraineté ne sera pas un facteur dans le débat avant la prochaine élection. Selon lui, le PQ a abordé la question pour la mettre derrière lui rapidement.
« Je comprends la stratégie de passer tout ça tout de suite, dit-il. L’armée et tout. Les pelures de bananes, ils les ont mises dans le même sac. »
Un quatrième croit qu’un rétablissement du PLQ, avec un nouveau chef, viendrait consolider le cadrage qui sert la CAQ.
« On était déjà du côté nationaliste du cadrage, mais le PLQ est tellement plus là que la perspective est différente. Si le PLQ reprend sa place, on retrouve le parfait centre du cadrage. »
Un cinquième élu s’inquiète tout de même d’une remontée du PQ dans les régions et de son effet sur l’appétit de leurs électeurs pour le nationalisme.
« Ils votent souvent avec leurs émotions, leur coeur. Et puis, des fois, le virage peut être sec », dit-il.
« Hello, hello,
Bonjour, happy day »