Test Sea of Stars – De l’hommage à l’excellence, il n’y a qu’un pas

10 min read

Si pour beaucoup d’amoureux du RPG, l’année 2023 fut portée par un Final Fantasy XVI à la mise en scène époustouflante, par un Starfield à la recette rodée, ou par un Baldur’s Gate 3 aux possibilités extraordinaires, pour d’autres, le prétendant au jeu de l’année est très loin de la sphère double ou triple A. Sea of Stars, de son petit nom, avait tout pour se faire désirer ardemment par les fans de jeu de rôle nippon à l’ancienne, en s’inscrivant dans une démarche assumée d’hommage à Chrono Trigger, et autres œuvres mythiques de l’ère 16 bits. Après avoir chamboulé le jeu de plateforme avec son The Messenger, qui offrait un salvateur coup de chiffon à la recette des Ninja Gaiden en 2D, voilà que Sabotage Studio s’attaquait à un autre genre, avec une ambition revue à la hausse.

Ce test arrivant bien après la bataille, puisque le jeu est disponible depuis le mois d’août dernier sur tous les supports du marché, à l’exception des mobiles, il ne sera pas question de vous faire miroiter un constat différent de celui que tous nos collègues ont déjà pu dresser. Bien évidemment, Sea of Stars est un bon jeu vidéo, une œuvre d’une richesse maîtrisée, qui rend un bel hommage aux classiques dont elle s’inspire. Néanmoins, si nous prenons le temps aujourd’hui d’écrire ces quelques lignes, c’est parce qu’il semble nécessaire, d’un point de vue de testeur, d’ajouter une couche supplémentaire à la ribambelle de critiques positives déjà reçues par Sabotage Studio, le tout en n’oubliant pas que le monde n’est pas dénué de nuance.

Conditions de test : Nous avons passé près de quarante heures sur la version Nintendo Switch de Sea of Stars, autant sur TV qu’en mode portable, notamment sur un modèle Lite. Ce test est garanti sans spoiler.

De Chrono Trigger à Golden Sun

Sea of stars

Il y a fort à parier que les 1,6 millions de dollars canadiens récoltés par la campagne Kickstarter, lancée par Sabotage Studio, sont la résultante d’attentes nées de l’évocation des inspirations premières du développeur. Oui, personne ne s’en cache, il y a du Chrono Trigger dans Sea of Stars. Maintenant, il reste encore à déterminer sous quelle forme, et à quel degré. Parce qu’une fois en main, si l’on sent bien que certains éléments font directement écho au mythique jeu de Square, comme les déplacements des personnages par groupes de trois ou la disposition de ceux-ci en combat, beaucoup d’autres aspects s’en éloignent assez drastiquement.

La partie scénaristique, pour commencer, qui s’apparente plus à une perpétuelle chasse à l’homme dans un cadre relativement linéaire. Ce qui fait plutôt écho à une série que les amateurs de Game Boy Advance connaissent bien, j’ai nommé Golden Sun. Et le choix de comparaison n’est pas anodin, puisque l’on tient là, sans l’ombre d’un doute, l’une des autres inspirations du studio. On retrouve un code couleur spécifique pour les personnages principaux, qui ne sont ici plus des mystiques mais des enfants du solstice. La différence est assez minime finalement. Mais c’est aussi la construction de l’aventure qui fait écho au jeu de Camelot, avec des rebondissements bien sentis et des enjeux qui changent en cours de route.

En dévoiler plus serait criminel, tant l’histoire de Sea of Stars tient une place maîtresse dans l’appréciation de son aventure. Retenez toutefois que malgré une écriture remarquable, notamment grâce à un humour omniprésent, elle n’est pas dénuée d’impairs, avec notamment quelques personnages qui ne font pas l’unanimité parmi les protagonistes. Dans l’ensemble, néanmoins, le jeu de Sabotage Studio parvient aisément à nous tenir en haleine tout le long de son aventure, se bouclant en une trentaine d’heures en ligne droite. Et ce, malgré quelques petites longueurs qu’on sent un brin artificielles, et qui auraient sûrement pu être évitées. Longueurs que l’on sent finalement peu passer, lorsque l’on prête l’oreille à une bande sonore qui ne commet, quant à elle, aucune fausse note.

Et puisque nous sommes sur les considérations artistiques, autant aborder l’aspect visuel du soft qui, n’ayons pas peur des mots, est une totale réussite. Une âme résolument old school, avec une vue de dessus qui rappelle effectivement beaucoup Chrono Trigger, et une colorimétrie un peu saturée par moments, à l’image des jeux Super Nintendo qui ont posé les bases de cette recette. Mais une gestion des ombres, des lumières et de la verticalité qui fait honneur au studio, des animations agréables à l’œil, et un bestiaire fourmillant de bonnes idées qui n’auraient pu faire surface il y a trente ans. Le meilleur des deux mondes, en somme. Un constat qui s’applique aussi au gameplay.

Plus ou moins old school

Sea of stars

Parce que là où l’on s’attendait à une bête resucée des combats de Chrono Trigger, après un premier coup d’œil rappelant énormément le jeu de Square, on observe finalement une tambouille qui mélange plusieurs inspirations et idées, pour un résultat très intéressant. Dans le désordre, on retrouve du Super Mario RPG dans Sea of Stars, avec la possibilité d’appuyer au bon moment sur la touche d’action pour parer une attaque adverse, ou ajouter de la puissance à la nôtre. Une mécanique qui fonctionne très bien, et nous contraint à nous saisir des patterns ennemis, qui demeurent lisibles mais finissent par devenir un peu difficiles à appréhender.

C’est aussi un moyen qui permet de remplir certaines conditions en combat, dans le but d’empêcher un adversaire ciblé de jouer son tour. Plus précisément, il arrive qu’un ennemi affiche, au-dessus de sa tête, une barre regroupant plusieurs types d’attaques, touchant au nombre de tours restants avant que celui-ci ne nous rentre dedans. Pour l’empêcher d’agir, il faudra donc lui infliger tout ce que ladite barre décrit, ce qui nécessite de combiner ingénieusement les techniques de nos personnages. Tout en sachant que chacun d’eux n’a que très peu de points de mana, récupérables en utilisant la fonction primaire d’attaque, mais aussi qu’une mécanique d’auras est à considérer. Des petites subtilités qui, combinées, permettent aux affrontements de ne jamais lasser.

Sea of Stars c’est aussi un système d’expérience commun à tous les personnages jouables, ce qui permet de ne laisser personne derrière et évite les sessions de grind fastidieuses. À cela s’ajoute une progression laissant le choix au joueur des statistiques à améliorer chez chaque protagoniste. Fonction pratique, mais peut-être un peu trop simpliste, dans la mesure où, en dehors de l’équipement très basique lui aussi, il n’est pas possible de pleinement façonner ses personnages. Les attaques à apprendre ne sont pas légion, même si elles se garnissent d’un système de combo qui fonctionne bien. Mais dans les faits, ce dirigisme et cette absence toute relative de customisation n’est pas un problème : vous gagnez à vous laisser porter.

D’autant que le challenge est très bien dosé dans Sea of Stars, obligeant à constamment être sur ses gardes pour ne pas bêtement finir KO. Même si, là encore, le KO n’est que passager, et chaque personnage mis au tapis se relèvera quelques tours plus tard. Cela étant dit, le Game Over n’est jamais bien loin, et ce même lorsque vous n’affrontez que des monstres basiques. Chose que le jeu permet de nuancer, avec la possibilité d’acquérir tout un tas de reliques au cours de l’aventure, offrant quelques bonus. Par exemple, l’une des premières que vous trouverez permettra de doubler les PV de vos protagonistes.

Un bon moyen de ne jamais être en difficulté. Mais les reliques sont nombreuses, et les bonus qu’elles offrent sont variés. Ce qui permettra à chacun de se forger l’aventure qu’il désire vivre, en supprimant, pourquoi pas, le challenge, ou en le réduisant seulement sur certains aspects très précis. À l’inverse, certaines reliques permettront d’augmenter la difficulté. L’idée est très intéressante, et finalement très marginale dans le paysage vidéoludique. Mais une chose est sûre, on aimerait voir ce concept adapté à d’autres sauces, chez d’autres jeux, et pas forcément que chez des RPG. Mais revenons à nos moutons.

Supplément d’âme

Sea of stars

Le dirigisme que l’on ressent dans la progression de nos personnages se retrouve aussi dans la manière de progresser dans l’aventure. Sea of Stars est relativement linéaire, comme dit plus haut, ce qui pourrait être vu par certains comme un défaut. Surtout comparé à Chrono Trigger, encore lui, qui nous permettait d’explorer différentes époques et lieux un peu comme bon nous semblait. Mais dans les faits, bien que le sentiment de liberté ne se débloque que tardivement dans l’aventure, et demeure limité, ce n’est guère un problème. Parce qu’à l’inverse d’un Final Fantasy XIII qui nous plaçait sur des rails (avant sa dernière phase), le jeu de Sabotage Studio nous laisse explorer ses environnements de taille raisonnable, ce qui, en raison d’un level design sortant du lot, est un pur délice.

Level design qui se pourvoit de subtilités, là encore, avec des raccourcis à dénicher en cours de route, pour plus tard. Ou encore de petites énigmes simplistes, nécessitant l’utilisation de pouvoirs à débloquer au fil de l’aventure, rappelant là encore beaucoup ce que proposait Golden Sun sur la forme, comme dans le fond. Un principe qui fonctionne très bien, et encourage à revenir dans les niveaux pour fouiller, sans pour autant tomber dans une profusion imbuvable de détours et d’objets à collecter. Sea of Stars est riche, généreux, mais demeure parfaitement maîtrisé en termes de contenu, n’offrant ni trop, ni pas assez à découvrir. Un régal, là encore.

Reste que malgré toutes ses qualités, Sea of Stars n’est évidemment pas exempt de défauts. Nous évoquions plus haut son dirigisme, et il est vrai qu’il pourrait en gêner certains. Mais c’est aussi dans sa boucle de gameplay qu’il a des chances de décevoir. Parce que, bien que les combats se renouvellent plaisamment en raison des patterns différents des ennemis, et du système à la Mario RPG qui laisse le joueur constamment actif, il faut reconnaître que le sentiment de progression manque un peu à l’appel. On pourrait aussi nommer quelques petits points perfectibles, notamment dans la traduction française textuelle (aucun doublage n’étant à prévoir), ou le fait qu’il soit impossible de sauter les dialogues (agaçant quand on recommence plusieurs fois un boss).

You May Also Like

More From Author