Rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice a enseigné la littérature au collégial ; elle est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire et membre du comité de rédaction de Lettres québécoises. Elle a codirigé et coécrit l’ouvrage collectif Traitements-chocs et tartelettes. Bilan critique de la gestion de la COVID-19 au Québec (Somme toute).
Alors que la grève générale illimitée de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) est à nos portes et que les négociations avec le secteur public piétinent, la Coalition avenir Québec (CAQ) a décidé lundi dernier d’allonger de 5 à 7 millions de dollars pour deux matchs préparatoires des Kings de Los Angeles à Québec. Un spectacle désolant, qu’on aurait presque dit orchestré par Elvis Gratton.
L’annonce a été mal reçue, c’est un euphémisme. Ces 5 à 7 millions de dollars ont beau n’être qu’une goutte dans l’océan budgétaire de nos finances « serrées » (dixit le ministre de l’Économie, Eric Girard), ils sont un symbole fort qui a eu l’effet d’une douche froide sur bien des Québécois étranglés par l’inflation — à commencer par les employés du Front commun et de la FAE.
C’est qu’après trois années et demie de pandémie marquées par les fermetures d’école, l’immense rattrapage pédagogique encore en cours et de multiples fleurs envoyées à nos profs d’exception en conférence de presse (c’est si beau, la vocation, merci de tenir le fort !), on se serait attendu à ce que le gouvernement n’en vienne pas là ; à ce que les cordons de la bourse et des conditions s’alignent un peu mieux sur les babines.
Dans l’objectif d’éviter une grève en pleine année scolaire, la FAE a d’ailleurs réduit ses demandes de moitié le 7 septembre dernier. Saluant cette main tendue, la ministre Sonia LeBel s’est contentée d’inviter les autres syndicats à faire de même, tout en offrant au personnel enseignant des hausses salariales qui n’accotent même pas le taux d’inflation annuel. Tâchons de nous en souvenir dans quelques jours, quand le gouvernement Legault déclarera que les profs prennent la population en otage.
Tout ce qui brille…
Pendant que les négociations avec le secteur public piétinent, le gouvernement met beaucoup d’énergie et d’argent sur un autre front : la filière batterie. Subventionnée à hauteur de 7 milliards de dollars par l’État dans l’objectif de faire du Québec un acteur d’avant-plan sur la scène mondiale de l’économie verte, la giga-usine de Northvolt sera construite sans étude d’impact environnemental (on n’étudiera que la portion recyclage des batteries de l’affaire). Or, après s’être heurté à des portes fermées et à des documents lourdement caviardés, Le Devoir nous apprenait que l’usine sera implantée dans un secteur contenant 74 milieux humides et des dizaines d’espèces animales, dont trois menacées de disparaître.
Mais il faut croire que déroger aux règles de base est justifié dans certaines circonstances. Nous devons apprécier notre chance ; c’est nous, le Québec, que Northvolt a choisis pour construire sa giga-usine ! Think big et vert, tant pis si l’on éradique des milieux humides pour réussir notre transition écologique, qui impliquera au passage la construction de nouveaux barrages hydroélectriques et l’extraction de lithium en sol québécois.
La CAQ a soif d’un grand legs, de projets signatures dont elle sera « fière » : mais la poursuite de ceux-ci ne doit pas nous aveugler ni nous faire tourner les coins ronds. Les projets de société ne passent pas tous par le béton ou la création d’emplois par milliers. Il est sans doute moins marketable de se targuer d’avoir augmenté le taux de rétention du personnel enseignant ou infirmier dans un bilan, mais c’est ô combien nécessaire et utile.
Subventionner les milliardaires
Revenons aux Kings. Leur masse salariale est de plus de 84 millions pour 2023-2024. Leur joueur le mieux payé touche 11 millions à lui seul ; le moins payé (essuyons nos larmes) gagne 775 000 $. Ces organisations milliardaires qui embauchent des millionnaires n’ont pas besoin de fonds publics, d’autant qu’on sait que le Canadien était prêt à jouer dans la capitale nationale sans l’aide de l’État — mais « ils l’ont-tu, l’affaire, les Amaricains » ! Il faut bien se donner l’illusion que le Centre Vidéotron n’est pas un éléphant blanc en le peuplant de temps à autre. En 2021, la Ville de Québec a versé 2,75 millions de dollars à Québecor pour éponger son déficit.
En ces temps difficiles, les dollars de la proposition indécente faite aux Kings (ceux de LA, au pluriel, pas celui de Memphis ni ses personnificateurs) auraient pu servir à tant d’autres projets plus utiles. Sept millions de plus qui se seraient ajoutés aux 10 millions annoncés pour les banques alimentaires dans la mise à jour économique leur auraient presque permis de finir l’année, leurs besoins estimés se chiffrant à 18 millions de dollars.
Le peuple n’a pas besoin de hockey subventionné à même ses poches. Il a besoin d’un système de santé qui ne tient pas avec du scotchtape, d’écoles pas moisies, de profs dont la tâche ne risque pas de les mener au surmenage, d’« anges gardiens » pas brûlés par les heures supplémentaires obligatoires (en ces temps exceptionnels, il me semble que la pause parlementaire des Fêtes est indécente, il y a tant de problèmes urgents à régler ; à quand les heures supplémentaires obligatoires pour les élus qui se sont voté 30 % d’augmentation ?), de manger à sa faim chaque mois, de se loger à un prix décent.
Ces millions promis aux Kings sont le symptôme d’un gouvernement qui, dans sa quête effrénée de coupage de rubans, délaisse trop souvent le bien réellement commun. Les temps ne sont plus à penser « gros ». Ils sont à construire ensemble — et c’est ce que les membres de la FAE feront à compter de la semaine prochaine, pour le bien de nos enfants et de l’éducation, sans fonds de grève.