Thomas Brail, défenseur des vieux arbres, pas prêt de descendre de son platane en plein Paris

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Edit : Vendredi soir, le GNSA a bien été reçu au cabinet de Clémeant Beaune, ministre des Transports. « Mais sans grandes avancées, confie Thomas Brail, à 20 Minutes. Le projet n’est pas suspendu. » Le Tarnais, en grève de la faim depuis 16 jours désormais, reste donc dans son platane pour l’instant. 

« Levez les yeux vers les écureuils de la résistance », invite la fresque de pancartes posées au sol, et qui vous emmène tout droit vers l’un des platanes qui s’élèvent boulevard Saint-Germain, en plein Paris, juste en face du ministère de la Transition écologique. S’il n’est pas sûr encore d’être entendu, Thomas Brail a d’ores et déjà réussi à décrocher le nez de nombreux Parisiens de leurs portables. Et peut-être même, un court instant, de leur faire profiter pleinement des arbres qui les entourent.

En tout cas, sa présence dans cet arbre, à une dizaine de mètres du sol, intrigue bon nombre de passants. Voilà bientôt deux jours qu’il est perché là, avec deux camarades « grimpeurs » du Groupe national pour la surveillance des arbres (GNSA), l’association que Thomas Brail a fondée en 2019. Leur espoir : décrocher un rendez-vous avec Clément Beaune, ministre des Transports.

Perché à 10 m de haut et en grève de la faim

Les jours précédents, Thomas Brail occupait déjà un platane, cette fois-ci devant l’hôtel de région de Toulouse. Et avant encore, à Vendine dans le Tarn, son département d’origine, où sept platanes ont été abattus le 1er septembre. Depuis ce jour, le Tarnais ne se contente pas d’être perché dans les arbres, il est aussi en grève de la faim. C’est en remontant ainsi les jours que le combat de Thomas Brail prend peu à peu forme. Ces sept platanes ont été abattus dans le cadre du chantier de l’A69, autoroute qui doit voir le jour entre Toulouse et Castres et qui suscite de vives protestations des militants écologistes. « Nous nous mobiliserons tant que nous n’obtiendrons pas à un moratoire immédiat sur ce chantier et jusqu’à ce que tous les recours sur le fonds contre ce projet soit jugés », assure Mylène, militante du GNSA venue depuis Toulouse apporter son soutien aux « écureuils de la résistance » ce vendredi. Passeront aussi, dans l’après-midi, les députés écologistes Julien Bayou et Yannick Jadot, ou le député REV Aymeric Caron.

« Au printemps déjà, nous avions réussi à bloquer les travaux pour éviter l’abattage d’un alignement d’arbres, toujours à Vendine, raconte Thoma Brail. Nous avions tenu jusqu’à l’entrée dans la période de nidification, mi-mars et fin juillet, pendant laquelle l’abattage d’arbre est interdit. » Un bref répit pour ces militants. « Il était prévu que le chantier reprenne le 1er septembre. À minuit et quatre minutes, ce jour-là, ils ont commencé à couper des arbres avec l’appui de la gendarmerie », reprend-il.

Des arbres centenaires abattus pour laisser place à l’A69

Pour le GNSA, ce travail de nuit illustre bien cette volonté de mettre ces abattages sous le tapis. « Atosca [le concessionnaire retenu par l’État pour gérer la future autoroute] promet de planter cinq fois plus d’arbres en retour, commence Thomas Brail. Faudrait d’abord qu’ils sachent précisément combien ils en abattent. » Le fondateur du GNSA n’en sait rien lui-même. « Il y a un espace boisé de 17 ha sur le tracé, près de Castres, illustre-t-il. Rien qu’à cet endroit, il serait compliqué de les compter. »

L’arboriste-grimpeur a au moins une certitude : dans les arbres qui seront couchés à terre pour laisser place aux voitures, il y en a des majestueux. « À Vendine, les sept platanes déjà abattus et les sept autres qui pourraient suivre ont entre 110 et 120 ans chacun, raconte-t-il. Et à Saint-Germain-des-Près, au lieu-dit le chemin des Juges, on parle d’arbres qui culminent à 50 mètres de hauteur et dont les plus vieux ont été plantés à l’époque napoléonienne, il y a 200 ans. » Qu’on n’aille pas dire à Thomas Brail que la plantation, ailleurs, de jeunes arbres permettra de compenser les préjudices. « La capacité des arbres à stocker du carbone leur vient en grande partie de leurs feuilles, illustre-t-il. Certains vieux arbres qu’on abat aujourd’hui en ont plusieurs centaines de milliers, contre seulement quelques centaines pour un jeune qu’on va planter. Il faudra attendre un siècle pour que ces derniers nous rendent les mêmes services. Et encore, s’ils vont jusque-là, eux qui sont fragiles dans leurs premières années face aux sécheresses et canicules. »

Le déséquilibre est le même côté biodiversité. « Ces vieux arbres abritent quantité d’oiseaux, de chauve-souris et autres petits mammifères que n’accueilleront pas les jeunes arbres avant des dizaines d’années », insiste Thomas Brail.

Thomas Brail, perché dans le même arbre qu'il occupe aujourd'hui, devant le ministère de la transition écologique, mais en 2019, lors d'un précédent combat pour éviter l'abattage de 26 arbres à Condom, dans le Gers.
Thomas Brail, perché dans le même arbre qu’il occupe aujourd’hui, devant le ministère de la transition écologique, mais en 2019, lors d’un précédent combat pour éviter l’abattage de 26 arbres à Condom, dans le Gers. – Martin BUREAU

28 jours dans ce même arbre il y a quatre ans

Pour le GNSA, cette autoroute 69 est un exemple typique des projets d’aménagements du territoire conçus sans respect pour les arbres en place et sans prise de conscience de leur rôle dans l’écosystème. Combien y a-t-il de projets de ce type en cours ? Remonter le fil Twitter (X) du GNSA permet déjà de se faire une idée. « On a arrêté de tenir des comptes précis, répond Thomas Brail. Une certitude : On nous appelle quasi tous les jours pour nous signaler des arbres menacés d’être abattus alors qu’on pourrait très bien faire autrement. »

Au GNSA, on donne en tout cas de sa personne pour tenter de changer le cours des choses. « Ne parlez pas que de moi, insiste d’ailleurs Thomas Brail. Huit autres membres du GNSA sont en grève de la faim du côté de Toulouse. Et d’autres grimpeurs continuent en ce moment d’occuper des arbres menacés par le projet d’A69. » Thomas Brail commence à être un habitué de ce genre d’occupations. « Depuis 2019, j’ai bien dû vivre trois mois dans des arbres, assure-t-il. Ça m’attriste de devoir en arriver là et de voir qu’on protège si peu nos arbres en France. » Le plus incroyable, dans cette histoire, est que l’arboriste s’est déjà perché, par le passé, dans ce même platane. C’était il y a quatre ans, pour s’opposer à l’abattage de 26 platanes à Condom (Gers). « À l’époque, Élisabeth Borne était ministre de l’Environnement, se rappelle-t-il. J’étais resté 28 jours dans cet arbre. Mais j’avais été reçu quatre mois plus tard, au ministère, pour travailler avec eux, pendant un an et demi, à une meilleure protection des arbres. Sans que cela change profondément la donne, se désole-t-il. Ce chantier de l’A69 en est la preuve ».

Ne pas trop s’éterniser

Cette fois, Thomas Brail, 49 ans dans un mois, espère ne pas trop s’éterniser boulevard Saint-Germain, lui qui ne carbure depuis quinze jours qu’à l’eau citronnée avec du miel et aux tasses de bouillon le soir.  « Je tiens le coup, mais c’est de plus en plus difficile, dit-il. J’ai bien conscience qu’une grève de la faim, au bout de 20 jours, devient compliquée et dangereuse. » 

En fin d’après-midi, le GNSA avait bon espoir d’être reçu dans la soirée par le cabinet de Clément Beaune. Affaire à suivre. « Je ne descendrais pas tant qu’on n’a pas obtenu le moratoire », répète Thomas Brail avant de raccrocher.

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