Un détenu noir dont l’état mental était perturbé est indemnisé pour le traitement reçu en prison

Le Tribunal des droits de la personne du Québec a condamné le ministère de la Sécurité publique et des agents des Services correctionnels à payer des dommages à un jeune homme noir pour discrimination, en raison de la façon dont il a été traité en prison. Ils ont aussi failli à leur obligation d’accommodement raisonnable « pour motif de handicap », vu son état mental perturbé.

Le ministère et huit agents devront payer 40 000 $ à titre de dommages moraux à Samuel Toussaint. Le chef d’unité de la prison devra aussi lui payer 1500 $ en dommages punitifs.

« Si le Tribunal n’avait pas bénéficié d’une preuve vidéo, il aurait été difficile d’accorder foi au récit de M. Toussaint tant le traitement qu’il a subi le 4 décembre 2016 apparaît indigne et inhumain », écrit-il dans son jugement rendu le 3 novembre.

Quant à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), qui a porté cette cause devant le tribunal au nom du jeune homme, mais aussi « dans l’intérêt public », elle a salué le jugement, le qualifiant d’« avancée importante pour la reconnaissance du profilage racial et de l’obligation d’accommodement en milieu carcéral. »

Samuel Toussaint, un étudiant au cégep de 21 ans, purgeait une peine de prison discontinue, c’est-à-dire qu’il passait les week-ends en prison seulement, jusqu’à ce qu’il ait effectué les 82 jours d’incarcération imposés en lien avec une condamnation de voies de fait.

Le 4 décembre 2016, il s’est présenté au centre de détention comme prévu — pour sa 33e fin de semaine. Il fumait une cigarette près de la porte avant d’entrer. Un agent correctionnel l’a averti que c’est interdit. Selon ce dernier, M. Toussaint est « très arrogant » , lui souffle de la fumée au visage et jette sa cigarette sur lui — ce que le jeune homme nie. Sur ce point, le Tribunal a retenu la version de l’agent, jugée plus crédible.

À l’intérieur, l’agent avise l’équipe du geste posé et du fait que le détenu ne semble pas dans son état normal : il a l’air intoxiqué, dit-il. M. Toussaint est passé en priorité pour être isolé. Les agents ont témoigné qu’il apparaissait en colère, énervé, gesticulait beaucoup, et qu’il a proféré des insultes à leur égard, s’adressant à Dieu et les mettant en garde contre la sanction divine qui les attend. Il ne collaborait pas à tous les ordres reçus, disent-ils.

Il est décidé de le placer dans une cellule, seul, pour qu’il puisse se calmer. Puis, pour effectuer la fouille obligatoire, les agents le menottent, pour ensuite le conduire à un autre endroit à reculons, ce qui l’inquiète car il n’a jamais vu cette façon de procéder.

Les agents peinent à établir un contact avec M. Toussaint, le chef d’unité Leclerc le décrivant même comme « déphasé ».

Une fois les menottes enlevées, le détenu lève un bras en l’air, ce qui est perçu comme une « tentative d’assaut ». Les agents effectuent alors diverses manoeuvres pour le maîtriser dont des « clefs de bras », des pressions sur le nerf sciatique, et des « contrôles articulaires » — des techniques utilisées à plusieurs reprises et à divers moments cette journée-là. M. Toussaint est en sueur, très agité et résiste. Lorsqu’un agent parle d’aller chercher un couteau pour couper ses vêtements afin d’effectuer la fouille à nu, il panique. L’équipe décide de l’emmener vers une autre cellule plus sécuritaire où il est emmené, complètement nu. « Ça riait » , a dit M. Toussaint lors de l’audience, qui rapporte aussi des insultes racistes.

Dans cette autre cellule, il y avait « trop de monde », certains étant « venus voir ». « Je suis complètement paniqué », témoigne M. Toussaint, qui dit avoir eu peur de mourir. Il résiste et est poivré — directement au visage, ce qui lui cause une sensation immédiate de brûlure. Le produit coule sur son torse et ses parties génitales, dit-il.

Il passera le reste de la journée « sans le moindre vêtement, ni repas ni matelas, affligé par une céphalée et la peur d’être défiguré par les brûlures du produit inflammatoire ».

Traitement différent

 

Le jeune homme n’a pas été traité de la même façon que les autres détenus, tranche le Tribunal, qui ajoute qu’il présentait, de toute évidence, un « état mental perturbé », vraisemblablement attribuable à la consommation d’une drogue quelconque. Les agents, qui ne savent s’il s’agit d’intoxication ou d’un trouble de santé mentale, refusent pourtant d’adapter leurs interventions en conséquence, même s’ils notent qu’il ne semblait pas bien comprendre ce qui se passait, reproche le Tribunal.

Un état mental perturbé causé par la drogue est-il un handicap selon la Charte des droits et libertés ? Oui, dit le Tribunal, citant un jugement de la Cour suprême du Canada qui spécifie qu’un « handicap » n’exige « pas obligatoirement la preuve d’une limitation physique ou la présence d’une affection quelconque ». Le « handicap » peut être soit réel ou perçu, est-il décrit dans cette décision, qui se continue ainsi : « La cause et l’origine du handicap sont sans importance. »

Le Tribunal se demande pourquoi il n’y a pas eu de relation d’aide, ou une approche non coercitive. Ou, du moins, un temps d’arrêt pour permettre la désescalade. Au lieu de cela, les agents coupent ses vêtements, ce qui exacerbe la situation, note-t-il.

Quant à la discrimination raciale, le Tribunal n’a pas été en mesure de déterminer si les insultes racistes entendues par M. Toussaint ont été proférées par des agents correctionnels ou par d’autres détenus.

« Il n’en reste pas moins que le déploiement d’un nombre anormalement élevé d’ASC (agents des services correctionnels) et la force disproportionnée déployée par eux afin de contraindre M. Toussaint à se soumettre à la fouille à nu sont pleinement en phase avec ces stéréotypes qui alimentent, en milieu carcéral, la discrimination raciale. »

« À la lumière de la preuve, il paraît inconcevable que les stéréotypes répandus liés à la race ou à la couleur n’ont pas eu la moindre incidence, même inconsciente, sur l’intervention des ASC vu le traitement brutal, voire inhumain, qu’ils ont réservé à M. Toussaint jusqu’à sa sortie de l’établissement en fin de journée, le 4 décembre 2016. »

Le Tribunal conclut à discrimination, car le jeune homme a été privé de la possibilité de jouir, en pleine égalité, de certains de ses droits et libertés les plus fondamentaux en raison du traitement que les agents lui ont fait subir, conclut-il.

Il a subi beaucoup de détresse en raison de cette journée de détention et a même dû être hospitalisé pour 30 jours en raison de son état mental.

 

En plus d’ordonner le paiement de dommages, le Tribunal a aussi ordonné l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan stratégique en matière de profilage discriminatoire, ainsi que la mise en place d’un programme de formation pour les employés et dirigeants des établissements de détention.

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