Un détournement de l’esprit, sinon de la lettre de la Loi sur la qualité de l’environnement

Une grande partie des questions que soulèvent présentement la filière des batteries et la privatisation croissante ainsi que l’augmentation de capacité de production d’Hydro-Québec, sinon toute la stratégie gouvernementale dite de transition écologique, s’expliquent par un autre détournement de l’esprit, sinon de la lettre de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE).

En effet, le sentiment d’incohérence, voire d’improvisation, qui semble caractériser ces dossiers s’explique en grande partie par la volonté du gouvernement actuel de ne pas donner suite au nouveau chapitre de la LQE sur l’évaluation environnementale stratégique (articles 95.5 à 95.14), adopté par l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité au printemps 2017 (chapitre 4 des lois de 2017). Le législateur a voulu par cet ajout à la loi faire en sorte qu’on cesse d’évaluer à la pièce les différents projets englobés par une politique, un programme ou une stratégie gouvernementaux afin de permettre à la population et au gouvernement d’avoir, dès l’étape de leur planification, une vue d’ensemble de leurs effets environnementaux, définis dans la loi comme étant la somme des dimensions écologiques, sociales et économiques, ainsi que des conditions de leur acceptabilité environnementale et sociale. 

Mais le gouvernement, y compris le premier ministre, François Legault, et son ministre de l’Environnement, Benoit Charette, qui, pourtant, ont personnellement voté pour ce chapitre de la LQE, refusent depuis sept ans d’adopter un règlement qui définirait les secteurs de l’économie auxquels ce chapitre de la loi s’appliquerait. La LQE prévoit ainsi ceci à son article 95.10 : « Les programmes de l’Administration déterminés par règlement du gouvernement, incluant les stratégies, les plans ou les autres formes d’orientations qu’elle élabore, doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale stratégique en application des dispositions du présent chapitre. »

On perçoit plus clairement la volonté gouvernementale de se soustraire, après six ans de pouvoir, au devoir de transparence, d’information et de consultation que ces dispositions de loi imposent. En effet, même si un tel règlement n’est pas encore adopté, la loi prévoit que pour les programmes qui ne sont pas déterminés par règlement, ce qui est le cas présentement des programmes englobés dans la stratégie dite de transition énergétique, le gouvernement « peut exceptionnellement, en tout ou en partie et selon les conditions qu’il détermine, les assujettir à une telle évaluation lorsque ces programmes sont susceptibles d’avoir des incidences significatives sur l’environnement ». Donc, la loi peut s’appliquer maintenant.

Les évaluations environnementales stratégiques (EES), comme Québec en a réalisé en 2011 sur le développement de l’industrie du gaz de schiste, par exemple, ont pour objectif légal de « favoriser une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux, dont ceux liés aux changements climatiques et à la santé de l’être humain ou aux autres espèces vivantes ».

Les EES visent aussi à déterminer et à évaluer l’importance des effets cumulatifs des projets ainsi que la prise en compte des principes du développement durable dans les décisions gouvernementales, dont le respect de la capacité de support des écosystèmes, ce qui semble présentement évacué dans ce qu’on prétend être des volets d’une stratégie de transition dite écologique. 

L’évaluation « en amont » des effets cumulatifs des projets dans une EES apporterait une cohérence qui fait défaut présentement à la prise de décision gouvernementale. 

Par exemple, au lieu d’évaluer un projet de barrage particulier, une EES comparerait avec la même rigueur les répercussions de plusieurs scénarios de nouvelles filières de production d’électricité ou de plusieurs projets de centrales, voire de stratégies d’économie d’énergie, afin de privilégier les filières les plus acceptables et les plus rentables à tous égards. Elle nous permettrait de nous demander si les retombées de l’ensemble des projets de la filière batterie valent le coup et si, autre exemple, les cinq projets prévus dans le parc industriel de Bécancour auront ensemble des rejets ou poseront des risques globalement inquiétants pour le fleuve et le milieu local.

Présentement, tous les projets prévus à cet endroit échappent au processus public d’évaluation environnementale. Il se peut que chaque projet considéré « au cas par cas » soit acceptable, mais que l’ensemble pose des questions auxquelles il faudrait répondre avant autorisation, ce qu’envisagerait une EES rigoureuse. 

Jusqu’ici, le gouvernement Legault a affiché une inquiétante indifférence par rapport à l’esprit et à la lettre de dispositions de loi fort importantes sur les plans environnemental et social, dispositions législatives qu’il avait pourtant appuyées dans l’opposition. Une indifférence qui, une fois de plus, tend à démontrer que le ministère de l’Environnement est à la remorque de la volonté des ministères à vocation économique, qui, eux, en sont encore à promouvoir un type de développement univoque des années 1950, qu’on aurait certes souhaité révolu, surtout face aux urgences climatique et biologique.

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