« “Botcher” un travail ». « Tenir ça mort ». « Donne-moi un lift »… Le français québécois regorge d’expressions colorées, mais parfois déconcertantes pour un nouvel arrivant, même francophone. Une entreprise de Trois-Rivières s’attaque à ces malentendus grâce à un jeu de cartes bien particulier.
On étale le paquet de 110 cartes entre ses mains et voilà que défilent les expressions curieuses. Compréhensibles pour les Québécois d’origine, elles paraissent bien opaques aux non-initiés : « Beurrer épais », « Broche à foin », « Ça va mal à la shop »…
« Une des expressions compliquées, c’est la “taxe de bienvenue” », souligne Frey Guevara, directeur général de SERY, organisme d’accueil pour les personnes immigrantes dans la région de la Haute-Yamaska et de Brome-Missisquoi, qui s’est procuré cet été le jeu de cartes, intitulé Dialecte PUR. « La taxe de bienvenue, c’est pour souhaiter la bienvenue au propriétaire ? Non, bien sûr, on apprend que ça vient d’une certaine histoire. Il y a beaucoup d’expressions québécoises qui sont liées à des événements historiques. Pour des gens qui arrivent dans une nouvelle société, cette expression ne voudra simplement rien dire. »
Cet outil d’intégration ludique destiné aux nouveaux arrivants a été créé en 2019 par Carlos Ruiz, ancien membre de l’équipe de Stratégie Carrière, un organisme trifluvien.
« Quand les immigrants vont pratiquer leur français avant de venir ici, c’est souvent via la France, ou le français de France », explique Natasha Normand, directrice générale de Stratégie Carrière. « Ils n’apprennent pas nos expressions, ils arrivent avec un décalage. Parfois, même les Français vivent un choc qu’ils ne pensaient pas vivre. » Elle souligne le travail de Carlos Ruiz, Colombien d’origine, à l’origine de l’idée de cette méthode joyeuse d’apprentissage du français parlé « icitte ».
Le paquet a été distribué dans près de 200 endroits du Québec, partout où atterrissent les néo-Québécois : les commissions scolaires, les organismes d’accueil des nouveaux arrivants, mais aussi les centres de loisirs, les cégeps, les universités, etc.
Quelque 600 exemplaires de ce curieux jeu de cartes ont été ainsi écoulés gratuitement grâce au soutien financier du gouvernement du Québec. Devant l’intérêt manifeste du public pour ce jeu, un autre lot (une autre batch, dirait-on en bon québécois) de 300 exemplaires est sorti des presses le mois dernier. « On a changé seulement l’image de couverture. On est passés de la “canne” de sirop d’érable à des bulles de bandes dessinées. »
Briser la glace
Que ce soit en faisant deviner le sens de l’expression, en demandant aux gens de mimer ou de dessiner ce que ça veut dire, ce petit objet ludique « brise la glace », ont expliqué tant Mme Normand que M. Guevara.
L’organisme de Frey Guevara utilise même le jeu même « à l’interne », lui qui est hispanophone à la base. « On est une équipe multiethnique. Parfois, on pédale parce qu’on n’arrive pas à trouver les bons mots ! »
Laisser sur le lieu de travail ces cartes remplies de devinettes facilite l’insertion des nouveaux travailleurs, renchérit Natasha Normand. Les conversations en usine déraillent souvent des conventions grammaticales enseignées. « On mélange des Québécois et des non-Québécois, on passe les cartes, et on leur dit ce que veut dire cette expression. Tout le monde rit, en général […] Ce n’est pas juste une question d’expression, c’est une question d’outil de travail. »
L’expression favorite de Frey Guevara ? « Petit à petit, l’oiseau fait son nid… Car c’est la réalité de toutes les personnes immigrantes ! »
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.