un jugement biaisé pour le ministre de la Justice ?

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Procès d'Eric Dupond-Moretti : un jugement biaisé pour le ministre de la Justice ?

Eric Dupond-Moretti comparait devant la justice ce lundi 6 novembre et jusqu’au 17 novembre. Accusé de “prise illégale d’intérêts”, le ministre de la Justice risque de quitter le gouvernement en cas de condamnation.

Un procès inédit : celui d’un ministre de la Justice en fonction, Eric Dupond-Moretti. Le garde des Sceaux comparaît à partir de ce lundi 6 novembre jusqu’au 17 novembre à la Cour de justice de la République (CJR) pour “prise illégale d’intérêts”. Celui qui a conduit nombre de ses clients devant la justice se retrouve cette fois de l’autre côte de la barre et le procès comporte de nombreux risques pour le ministre, à commencer par son avenir au sein du gouvernement.

Le verdict pourrait précipiter le départ d’Eric Dupond-Moretti de la place Vendôme, mais le chef de la Chancellerie entame ce procès en conservant son titre et ses fonctions de ministre. Il peut aussi compter sur le soutien de la Première ministre qui lui a renouvelé sa “confiance” à quelques heures de l’audience, au micro de France Inter. Si début octobre Elisabeth Borne avait assuré qu’une condamnation obligerait le ministre de quitter le gouvernement, elle n’a pas évoqué ce cas de figure ce lundi 6 novembre et a préféré souligner l'”excellent travail” de l’ancien avocat et rappeler son “droit à la présomption d’innocence”.

Un verdict conciliant pour Eric Dupond-Moretti ?

Seule la CJR est habilitée à juger un membre du gouvernement, c’est donc devant cette instance qu’Eric Dupond-Moretti est attendu. Créée en 1993, la CJR a statué sur 11 affaires et ses décisions ont souvent été jugées trop clémentes : cinq condamnations avec sursis, quatre relaxes et deux condamnations avec dispenses de peine ont été prononcées. Une indulgence qui viendrait selon ses détracteurs de la composition du jury formé par trois magistrats professionnels, six députés et six sénateurs.

Des politiques qui jugent d’autres politiques donc. Mais le jeu d’alliance, de solidarité entre membres d’un même parti et d’opposition entre forces politiques ne risque-t-il pas d’influencer les décisions de la CJR ? Dans le cas du procès d’Eric Dupond-Moretti, les proches du ministre se sont plaints des personnalités nommées pour juger l’ancien ténor du barreau. Du côté des magistrats le juge à la Cour de cassation Dominique Pauthe présidera le procès et sera accompagné par deux confrères.

En ce qui concerne les personnalités politiques, six viennent de la majorité (trois députés et trois sénateurs) et les six autres sont issus de l’opposition. Parmi cette seconde moitié se trouve la députée LFI Danièle Obono. Une nomination qui a fait bondir l’entourage du ministre, l’élue appartenant à la même famille politique qu’Ugo Bernalicis qui avait porté plainte contre le ministre. C’est un manque d’impartialité de la part de la députée LFI qui est redouté, mais cette critique pourrait également être faite aux membres de la majorité amenés à juger le ministre.

Un départ du gouvernement inévitable ?

Jugé pour “prise illégale d’intérêts”, Eric Dupond-Moretti encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement 500 000 euros d’amende conformément à l’article 432-12 du code pénal. Ce texte précise par ailleurs que tous les intérêts “de nature à compromettre [l’]impartialité, [l’]indépendance ou [l’]objectivité” de la personne incriminée tombent sous le coup de la sanction. Ces intérêts ne sont pas nécessairement liés à la recherche de gains ou de profits personnels financiers comme indiqué par un arrêt de la Cour de cassation de 2000.

Eric Dupond-Moretti risque aussi et surtout de quitter le gouvernement s’il est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés. Une peine complémentaire sur l’interdiction d’exercer une fonction publique pourrait effectivement être prononcée. Même sans cette peine la “règle générale” selon laquelle un ministre condamné ne peut rester en fonction s’appliquerait, comme le rappelait la Première ministre en octobre. Et si la peine pourrait faire l’objet d’un pourvoi en cassation, il serait difficile pour l’ancien ténor du barreau comme pour la cheffe du gouvernement de passer outre cette “règle générale”.

Si une condamnation est possible, une relaxe du ministre l’est tout autant. Le garde des Sceaux serait alors lavé de tout soupçon au regard de la justice et pourrait rester à la place Vendôme.

Qu’est-il reproché au ministre de la Justice ?

Eric Dupond-Moretti est accusé d’avoir usé de sa fonction de ministre de la Justice pour mener des actions en représailles contre des magistrats dans deux affaires différentes. Selon la commission d’instruction de la CJR, consulté par Franceinfo, le ministre de la Justice “a conservé un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité” “en initiant puis en suivant les enquêtes administratives litigieuses” jusqu’à ce que Matignon reprenne la charge de ces dossiers en octobre 2020.

Après sa nomination au ministère de la Justice, Eric Dupond-Moretti a effectivement ouvert des enquêtes administratives à l’encontre du juge Edouard Levrault puis de trois magistrats du parquet national financier (PNF). Le premier avait estimé que son éviction de la principauté de Monaco était due à ses enquêtes sur l’homme d’affaires russe, Dimitri Rybolovlev, et le directeur de la police judiciaire monégasque de l’époque, Christophe Haget, les deux hommes ayant été défendus par Eric Dupond-Moretti. Les trois autres ont été à l’origine de l’épluchage des relevés téléphoniques d’Eric Dupond-Moretti et d’autres avocats dans l’affaire dites “des écoutes” concernant Nicolas Sarkozy et en lien avec les financements libyens. L’avocat avait alors dénoncé un “abus d’autorité” et une “atteinte à la vie privée”.

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