Le site naturel qui sera détruit en bonne partie pour faire place à la giga-usine de Northvolt grâce à des fonds publics compte pas moins de 74 milieux humides, a appris Le Devoir. Une forte majorité d’entre eux sont importants pour la conservation de la biodiversité, mais on ignore pour le moment ce qui sera fait pour tenter de compenser les pertes, qui deviendront irrémédiables dans les prochaines semaines.
Après avoir essuyé un refus de la part de Northvolt et du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), Le Devoir a obtenu plusieurs centaines de pages de documents déposés par l’entreprise au ministère en utilisant la loi d’accès à l’information.
On y trouve notamment des rapports d’inventaires de la faune, de la flore et des milieux humides qui ont été produits par des firmes privées embauchées par le promoteur de l’usine. Plusieurs renseignements sont caviardés, et les rapports nous ont été transmis une fois que le ministère avait décidé de ne pas soumettre Northvolt à la procédure d’évaluation environnementale prévue pour les projets industriels majeurs.
Le rapport Inventaires floristiques et caractérisations des milieux humides et hydriques, produit par la firme CIMA+ avant l’annonce du projet, nous apprend que le site « est très vaste et composé de nombreuses unités végétales ». Plusieurs photos jointes au rapport de 523 pages témoignent d’ailleurs de la densité de zones boisées et de la diversité d’espèces végétales. Il faut savoir que l’accès au site est interdit au public. Il s’agit donc de la première fois qu’on peut voir des photos prises sur place.
Le personnel de la firme a aussi recensé un total de 74 milieux humides, dont 8 étangs, 19 marais, 28 marécages arborescents et 19 marécages arbustifs. Plusieurs présentent des « perturbations » imputables à l’activité industrielle menée sur une partie du site. Mais le rapport indique que 62 des 74 milieux humides ont une importance « moyenne » ou « élevée » pour la « conservation de la diversité biologique ».
Les experts de CIMA+ précisent que « cette fonction écologique est basée sur des indicateurs de biodiversité tels que le nombre d’espèces, la rareté relative » et le nombre de strates de végétation. Puisque chaque milieu humide est décrit dans le rapport, on y note notamment des milieux où la végétation est fournie et variée, ou encore qui servent d’habitat à des espèces menacées.
Ce même document fait état d’une capacité de « séquestration du carbone » moyenne ou élevée pour 55 des 74 milieux humides documentés, dont la majorité sera détruite pour la construction de l’usine. Il faut savoir que la séquestration du carbone dans des milieux naturels est considérée comme un outil important de lutte contre la crise climatique.
Dans une réponse au Devoir, le mois dernier, Northvolt avait déjà confirmé l’existence d’une « caractérisation » des milieux humides. « La majorité de ces milieux humides sont considérés comme perturbés par des espèces envahissantes et par l’activité humaine », avait toutefois indiqué un porte-parole de l’entreprise.
Comment sera compensée la perte de dizaines de milliers de mètres carrés de milieux humides, puisque le Québec a mis en place une loi imposant « aucune perte nette » de tels milieux naturels ? Northvolt promet de « respecter les règles en vigueur en matière de protection de l’environnement ». Certains milieux humides seront aussi épargnés.
Au MELCCFP, on ne précise rien à ce sujet. On répète que « des mesures de compensation sont exigées dans le cas où il n’est pas possible, pour les fins d’un projet, d’éviter de porter atteinte aux fonctions écologiques et à la biodiversité des milieux humides et hydriques ». Une compensation financière pourrait être exigée une fois que l’entreprise aura obtenu le feu vert du gouvernement Legault pour la destruction.
Espèces menacées
Un autre rapport produit par CIMA+ pour Northvolt indique que 65 espèces d’oiseaux ont été identifiées sur le site, dont au moins trois inscrites sur la liste des espèces en péril du gouvernement fédéral. Selon des informations obtenues le mois dernier par Le Devoir, six espèces « menacées » ont déjà été recensées sur le site, sur les 142 espèces d’oiseaux identifiées.
Comme la législation fédérale interdit la destruction du nid des espèces migratrices, il est essentiel pour Northvolt que les milieux naturels qui peuvent servir d’habitat de nidification, comme des arbres, soient détruits en dehors de cette période. Dans un document produit par l’entreprise, il est d’ailleurs question de commencer les travaux cet automne et de les terminer avant la fin de l’année.
CIMA+ a en outre documenté la présence d’herpétofaune, qui regroupe les amphibiens et les reptiles. On y apprend notamment que l’inventaire a permis de « confirmer la présence sur le site de plusieurs tortues peintes et tortues serpentines ». Puisque les travaux de préparation du site sont prévus lors de la période d’hibernation de ces tortues, celles-ci devraient être « enterrées vivantes », souligne le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, Alain Branchaud.
La firme dit ne pas avoir répertorié de rainette faux-grillon sur le site lors des inventaires réalisés en mai 2023. Elle conclut donc que « ce site ne répond pas aux critères d’habitat essentiel » de l’espèce menacée.
Le biologiste Alain Branchaud, qui connaît bien le petit batracien, souligne cependant qu’au printemps 2023, les rainettes ont été essentiellement recensées en avril au Québec, soit lorsqu’elles chantent en période de reproduction. Il estime donc que le MELCCFP devrait exiger que l’inventaire soit refait pour la rainette faux-grillon, une espèce qui a perdu plus de 90 % de son habitat dans la province.
Le Devoir a par ailleurs tenté en vain d’obtenir des informations au sujet de Northvolt auprès d’autres ministères en passant par la loi d’accès à l’information. Le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie nous a refusé l’accès à certains documents (impossible de savoir combien), et ceux qui nous ont été transmis sont tellement caviardés qu’il est impossible d’en tirer de l’information. On y note seulement la présence de courriels échangés au sein du ministère plusieurs mois avant l’annonce de la construction de l’usine.
Au ministère du Conseil exécutif, nous avons aussi essuyé un refus. Dans une lettre publiée mardi dans Le Devoir, 100 spécialistes de la biodiversité ont critiqué notamment le manque de « transparence » dans le dossier Northvolt.
Avec Dave Noël