À Gaza, 2 300 000 êtres humains sont pris en souricière, bombardés sans discrimination, enfermés dans une prison à ciel ouvert de 365 kilomètres carrés (imaginez, plus petite que l’agglomération de Montréal !), sans pain, ni eau, ni électricité, ni essence, sans liens Internet autrement qu’intermittents, sans pouvoir fuir ou s’échapper de cet enfer ou simplement trouver un lieu sûr, à l’abri d’une mort imminente… toujours possible.
Partout, d’innombrables cadavres sous les décombres, des hôpitaux débordés ou détruits, des ruines qui s’élèvent jusqu’au ciel. Déjà, mardi, on comptait plus de 8500 morts officiellement reconnus, dont près de 3500 enfants innocents ! Assurément un crime contre les populations palestiniennes, contre le peuple palestinien, contre l’humanité, même !
Une catastrophe se déroule devant nos yeux… une possible seconde Nakba (exil) en plein début du XXIe siècle, plus violente encore que celle ayant vu, en 1948, 750 000 Palestiniens forcés de quitter leurs terres. Et, pantois, nous en entendons les échos, comme s’il s’agissait certes d’une catastrophe, mais d’une catastrophe inévitable vis-à-vis de laquelle il n’y avait rien à faire, sinon plier l’échine. Malgré tous les appels à un cessez-le-feu des ONG encore sur place, de l’ONU vilipendée, du Croissant-Rouge palestinien désespéré !
Et, ici, au Québec, la rumeur lointaine de ces cris de désespoir, nous l’écoutons, soudainement paralysés par un déchirant sentiment d’impuissance.
Sans doute faut-il avoir au préalable appris à percer le brouillard de la désinformation qui, jouant sur la culpabilité, les émotions exacerbées, des vérités décontextualisées et le droit du plus fort, sème partout désorientation collective, hésitation, oubli, tentation de regarder ailleurs. Après tout, celui qui a pris la direction de cette opération vengeresse, le premier ministre israélien, Nétanyahou, — pourtant si contesté dans son propre pays et poursuivi pour malversation récurrente — ne prétend-il pas justement se défendre d’attentats barbares ayant fait 1400 victimes parmi les Israéliens ? Et ne descend-il pas d’un peuple qui, en Europe, a connu les affres d’un génocide aux dimensions jusqu’alors inconnues, demandant réparation et droit de pouvoir enfin vivre en paix et sécurité ?
Mais dès lors, comment comprendre, dans le contexte d’aujourd’hui, que les victimes d’hier puissent s’être muées en bourreaux d’aujourd’hui, qu’à ces attentats terroristes désespérés du Hamas, on ne réponde du côté israélien que par le terrorisme d’État, que les aspirations du peuple israélien à la paix et à la sécurité se soient converties 75 ans plus tard en politiques d’apartheid et en opérations guerrières de grande ampleur ?
Comment comprendre, sinon, en revenant à l’histoire et en remettant sous les projecteurs ce qui est oublié dans les discours officiels et que, par leur monopole médiatique, les grandes puissances d’Occident entrent dans la gorge de tout un chacun, la mise sous le boisseau du droit à l’autodétermination du peuple palestinien et les innombrables occasions ratées d’en fixer fermement la reconnaissance ? La formidable asymétrie des forces et des moyens en présence, mettant dans la même balance un petit peuple acculé à la survie et sans grands moyens et un État détenant clandestinement la bombe atomique et bénéficiant de l’appui militaire et assuré de la première puissance du monde, amalgamant qui plus est sciemment, pour les déconsidérer et les affaiblir, les volontés légitimes de résistance et les méthodes terroristes, dépréciant du même coup, du haut de vieux réflexes coloniaux, les volontés d’exister d’un petit peuple du sud ?
On peut ainsi mieux mesurer la pusillanimité des grands de ce monde qui, depuis plus de 50 ans, se sont tus et ont laissé se détériorer la situation à ce point, fermant hypocritement les yeux sur les politiques d’implantation de colonies israéliennes. Et surtout mesurer la dégradation des rapports de force politique existant notamment au Québec entre partisans de la paix, forces progressistes ou de gauche et partisans de la guerre et de ce si injuste statu quo maintenu sous l’égide des États-Unis et des forces montantes de la droite.
Au-delà bien sûr de l’aide humanitaire si nécessaire, c’est pourtant là où, comme citoyens, nous pourrions agir : travailler à redevenir chez nous, au Québec et au Canada, une force sociale et politique mobilisée susceptible de faire bouger nos gouvernements ! Que Trudeau, par exemple, contrairement aux positions pro américaines qu’il a entérinées, soit forcé, sous la pression de son opinion publique, d’exiger un cessez-le-feu immédiat ! Ou que Legault se refuse, comme il prétendait le faire il y a seulement quelques jours, d’ouvrir le bureau d’une délégation québécoise à Tel-Aviv !
Des petits gestes qui, par leur portée politique, peuvent ouvrir la voie à une solidarité pleine de promesses et, surtout, permettre que peu à peu se nouent des forces capables, dans cette région si malmenée du monde, d’imposer une paix véritable et, par conséquent, une solution politique qui prendrait pleinement en compte le droit inaliénable à l’autodétermination du peuple palestinien.