« L’aide qu’ils nous donnent, ce n’est rien ! » À Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, Isra Mcdad n’a toujours pas pu se laver quatre jours après avoir accouché de son deuxième enfant. Malgré les dures conditions dans lesquelles vivent les Gazaouis qui ne peuvent être évacués, Isra préfère rester, pour résister à l’« occupation ».
« Je ne m’attends à rien. Je ne sais pas si je vivrai encore demain », confie-t-elle au Devoir. La Palestinienne de 33 ans loge chez ses grands-parents à Rafah. Une soixantaine de personnes, principalement des femmes et des enfants — qui se font bien entendre à l’autre bout du fil — vivent sous le même toit, et partagent le peu d’eau et de nourriture dont ils disposent.
Le 18 octobre, Israël a autorisé l’entrée d’aide humanitaire depuis l’Égypte. Mais « l’aide qu’ils nous donnent, ce n’est rien », déplore Mme Mcdad, disant recevoir quelques boîtes de conserve, des sacs de pain à moitié pleins, et une seule bouteille d’eau pour tous les habitants de la maison.
« [Israël] détruit nos vies. Ils ont volé nos terres, se sont établis dessus, et maintenant, ils veulent nous mettre dehors, nous tuer et nous éliminer. […] Ils n’ont pas été éthiques, ni dans la paix ni dans la guerre. »
Isra dit n’avoir reçu aucune aide pour la naissance de son enfant. « Ce n’était pas une bonne expérience. Pas du tout », confie-t-elle, interrompue toutes les deux minutes par une coupure de la ligne téléphonique.
Elle qui craignait de ne pas avoir accès à un hôpital a finalement pu s’y rendre lundi, à Rafah. Mais « il n’y avait pas de serviettes, il manquait certains appareils [médicaux] », et surtout, il y avait une « coupure d’eau ». En résumé, « j’y suis allée, j’ai donné naissance, j’ai attendu quatre heures pour qu’on vérifie mon état de santé, puis je suis rentrée à la maison », dit-elle.
J’y suis allée [à l’hôpital], j’ai donné naissance, j’ai attendu quatre heures pour qu’on vérifie mon état de santé, puis je suis rentrée à la maison
Quatre jours plus tard, la naissance de Maria n’a pas encore été déclarée. « Tout le monde nous a dit qu’on devait attendre la fin de l’agression », explique Isra, qui s’inquiète de ne pas pouvoir faire vacciner à temps sa petite fille.
Aujourd’hui, tout ce qu’elle avait « construit » avec son mari pour leurs enfants est détruit. « Après chaque agression, si on a la chance de survivre, on recommence tout à zéro. »
Pas question de partir
Depuis mercredi, Israël autorise l’évacuation de certains blessés et étrangers de Gaza vers l’Égypte via Rafah. Le premier jour, 76 blessés palestiniens et 361 ressortissants étrangers et binationaux ont pu quitter le territoire. Une évacuation dont sont privés les Palestiniens qui n’ont pas de passeport étranger, comme Isra.
Pour elle, partir « n’est pas une option ». Même si elle en avait la possibilité, elle assure préférer rester avec les siens. « Ça ne serait pas juste de partir alors que les membres de ma famille sont ici en train de souffrir. Je considérerais cela comme une trahison. »
Il faut dire qu’Isra aurait pu ne pas se retrouver dans cette situation. La jeune femme est de retour dans sa région natale depuis seulement 10 mois, après des études de maîtrise en Écosse et deux ans passés en Turquie. Une décision qu’elle ne « regrette pas ».
Après avoir suivi la crise de 2021 à distance, elle refuse d’être encore une fois loin de ses proches. « C’est notre terre, et nous voulons être ensemble. […] Si tu es chez toi et que quelqu’un vient pour t’attaquer, tu ne pars pas, tu te défends. »
Multiples évacuations
Même si elle ne compte pas partir, Isra a déjà dû changer cinq fois de logement depuis le 7 octobre. Elle était dans le nord de la bande, à Gaza, lorsque le conflit a commencé. « J’étais en train de cuisiner avec ma fille » Sofia, qui a trois ans. Un appel d’un voisin indiquant qu’un immeuble était visé « a mis fin à tout. On a éteint le four […], on a pris les affaires que j’avais préparées au cas où quelque chose arrivait, et on est partis ».
La même menace la poussera de nouveau, avec son mari et sa fille, à quitter la maison de ses parents où ils s’étaient réfugiés, la sienne à nouveau, puis celle de son frère. Et le groupe grossit à chaque déplacement.
« On a de la chance d’avoir plusieurs maisons. » Ces multiples déplacements n’étaient pas sans risque, reconnaît-elle, avançant que plusieurs Palestiniens ont été tués dans leur voiture alors qu’ils t’entaient de se réfugier dans le sud.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.