Une «Passion selon saint Jean» sans frissons à l’OSM

Le grand chef Masaaki Suzuki est à Montréal pour la Passion selon saint Jean de Bach à l’OSM. Mais la griffe ou l’esprit que peut vraiment imposer un chef invité semblent contraints et dictés par les circonstances. En l’occurrence, ce Bach cultivé mais hétéroclite ne nous mène pas très loin sur le plan spirituel.

La Passion selon saint Jean de Montréal cette semaine doit beaucoup à deux formes d’imprévus. Le premier est presque un gag. Si on voulait forcer le trait, on dirait, un peu par provocation, que le gars qui chante le mieux sur cette scène de la Maison symphonique n’a même pas eu le droit d’avoir son nom inscrit au programme. Le trait est un peu forcé, parce que d’autres y chantent bien également, mais il est vrai que Geoffroy Salvas (que nous avons reconnu de loin) n’a pas son nom imprimé dans le programme, alors que sa participation n’est pas négligeable et qu’il est parfait en Pilate.

Voilà pour le premier « imprévu ». Le second est intéressant aussi. Mauro Peter, ténor suisse de 37 ans que nous aimons beaucoup (c’est un Tamino né), était venu chanter les airs de ténor, alors que Werner Güra devait incarner l’Évangeliste. Mais Güra était indisposé. Chance incroyable, Mauro Peter vient de chanter l‘Évangéliste sous la direction de Trevor Pinnock avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam vendredi et dimanche dernier à Amsterdam ! Tout en souhaitant bon rétablissement à monsieur Güra, nous nous sommes grandement réjouis de ce changement dès son annonce juste avant le concert. Les faits ont confirmé cet espoir.

Compatir

Loin de la traditionnelle « déclamation évangélique », un peu comme un héraut du Moyen Âge dans un opéra de Wagner, Mauro Peter aborde l’Évangéliste comme un narrateur, dans une tradition de Kammersänger (mélodiste). Cette approche « je vais vous raconter une histoire » sait prendre des atours évidemment plus dramatiques quand il le faut, lors de la scène du temple, par exemple.

Tout cela est très agréable, car, tout d’abord, chaque mot est intelligible et, ensuite, un côté hiératique un peu factice disparaît. L’Évangéliste a aussi l’air de se rapprocher du personnage de Jésus et de ce qu’il ressent puisqu’il est lui-même plus humain. Il compatit, en quelque sorte, et c’est exactement ce qui convient. Compatir vient d’un terme latin signifiant « souffrir avec », ce qui donne exactement et littéralement en Allemand Mitleid (mit leiden, souffrir avec, au passage et pour la bonne bouche, puisqu’on est au Vendredi saint, rappelons-nous que Mitleid est le terme clé de l’intrigue de Parsifal).

Mauro Peter s’est retrouvé à chanter l’Évangéliste et les airs de ténor, ce qui est toujours très fatigant. Et n’était pas prévu. C’est le 2e air de ténor qui en pâtit, car il faut que « Peter L’Évangéliste » se ménage un peu et il ne peut donc y mettre tout le dramatisme en relief. À ses côtés, Bernhard Hansky était un Jésus noble et efficace, ce qui bouclait un très bon trio de voix masculines (ténor, baryton, baryton-basse).

Poisson rouge

Pour la soprano et le contreténor, l’agrément était surtout de surface. Sherezade Panthaki a un timbre lumineux, mais tout semble un exercice d’illumination, de placement de voix ; une exposition du timbre au détriment du message. On se serait cru à une audition pour un professeur de chant obsédé par le placement de voix. Disons que l’objet du chant parle aussi de Jésus.

Quant à Reginald Mobley, il a une voix fine et claire, mais pour le contenu, quelle désillusion par rapport à la réputation que ce chanteur semble être en voie d’acquérir, en Europe notamment. Avec « Es ist Vollbracht » (« Tout est accompli »), au moment de la mort en croix, la mezzo ou le contreténor se voit confier le passage clé de l’oeuvre. Nous n’avons pas souvenir d’avoir entendu cet air chanté de manière plus insignifiante et étriquée expressivement, un peu comme un poisson rouge agité dans un aquarium bulle trop petit. Aucune rondeur, aucune tension, aucune douleur, aucune gravité, aucune ligne, aucune compassion, justement. Juste des notes, émises, sorties d’un gosier et de leur contexte.

Quant au choeur, on reconnaissait dans la liste des choristes la fine fleur des « pros » qu’on voit ici au SMAM, à La Chapelle ou ailleurs. Par contre, ce qu’on n’a pas vraiment réussi à déterminer, c’est s’ils avaient été « lâchés sur scène » ou rigoureusement préparés avec détermination par un chef de choeur selon des intentions précises du chef d’orchestre (dont il avait été averti) et assisté d’un « coach » linguistique.

Les couleurs dures et débraillées du 1er choeur laissaient craindre le pire. L’ensemble s’est mieux fondu par la suite (2e partie notamment), mais on était très loin de quelque magie chorale, façon La Chapelle de Québec façonnée par Bernard Labadie. Ça finissait par être « professionnel » (heureusement !) et honorablement présentable, mais sans grande âme ou sans souffle.

Bref, et malgré l’engagement du noyau d’instrumentistes, des solos de violon(s), cor anglais, viole de gambe, flûte ou violoncelle, ce n’est assurément pas ce concert de Masaaki Suzuki que l’on retiendra de ses divers passages à Montréal.

Passion selon saint Jean

Oeuvre de Jean-Sébastien Bach. Avec Mauro Peter, Sherezade Panthaki, Reginald Mobley, Bernhard Hansky, Geoffroy Salvas. Choeur et Orchestre symphonique de Montréal, Masaaki Suzuki. Maison symphonique, mercredi 27 mars. Reprise jeudi à 19 h 30.

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